La réforme de la politique de la ville aura 3 ans en février prochain. Comment s’est-elle traduite et avec quelles difficultés, quelle efficacité, quels apports pour les habitants des quartiers populaires ? Quels effets perceptibles sur la cohésion sociale et la dynamique citoyenne, à quelques mois d’une élection présidentielle qui risque d’exacerber les caricatures ?
Institutions, collectivités, professionnels et associatifs, ce jeudi 1er décembre 2016 à Allonnes, dans la banlieue du Mans (72), Ville & Banlieue avait invité toutes les parties prenantes au débat.
C’est dans la Maison des Arts Paul Fort, inaugurée l’année dernière dans le cadre de la rénovation urbaine, que Gilles Leproust, maire de la ville, a accueilli la petite centaine de participants à cette rencontre.
Deux tables rondes sans langue de bois ni partis-pris, ouvertes aux interpellations et aux témoignages d’un public fortement impliqué sur le terrain :
La loi Lamy : des retours positifs sur un processus inachevé
Directeur de la ville et de la cohésion urbaine au Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET), Sébastien Jallet n’a pas manqué de le rappeler d’entrée de jeu.
La réforme Lamy avait été adoptée en février 2014 sous l’impulsion de Ville & Banlieue et au terme d’une large concertation nationale, dans « le plus grand consensus politique et parlementaire ». Marc Vuillemot, maire de La Seyne sur Mer et président de Ville & Banlieue, reconnaissait que les élus de l’association étaient « très satisfaits dans les principes, même si sa mise en œuvre s’avère aujourd’hui très contrastée d’un territoire à l’autre ».
Pour Rodolphe Thomas, maire d’Hérouville-Saint-Clair et vice-président de la région Normandie chargé de la politique de la ville, « cette réforme a réussi à impliquer tous les niveaux de responsabilité sans sacrifier celle du maire, irremplaçable parce qu’elle s’exerce dans la proximité ». Tout le monde ? « D’abord Pôle Emploi, la CAF et les Agences régionales de santé, nouveaux signataires des contrats de ville, qui sont des partenaires indispensables », a ajouté Patrice Allais, directeur général adjoint de la ville de Rennes et président du réseau de professionnels Amadeus, pour qui la réforme a marqué un moment de redynamisation très positif. Sur le terrain, chacun est pourtant convenu de retards et parfois de blocages, de volontés politiques et de capacités d’expérimentation très disparates d’un site à l’autre.
Géographie prioritaire : c’est mieux mais…
Les quartiers redessinés sur le critère unique de la pauvreté ? Pour Rodolphe Thomas, « ce n’est pas toujours compréhensible des habitants quand on exclut certains secteurs se sentant appartenir aux mêmes quartiers intégrés à la géographie prioritaire ». « Les périmètres du nouveau programme national de rénovation urbaine semblent parfois flous et arbitraires », renchérit Alain Périès, 1er adjoint au maire de Pantin. Pour Catherine Arenou, maire de Chanteloup-les-Vignes et 1ère vice-présidente de Ville & Banlieue, on a confondu politique de la ville et politique de lutte contre la pauvreté, au risque d’une dilution des objectifs et des moyens. Pas du tout, lui répondra Sébastien Jallet, car on a justement ciblé la « concentration de la pauvreté » permettant de faire apparaître de nouveaux territoires d’intervention pour la puissance publique, tout en passant de 2 500 à 1 500 contrats. En somme, résumera Patrice Allais, « la nouvelle cartographie est claire. Même si elle est imparfaite et perfectible à la marge, tout le monde la comprend ».
Gouvernance intercommunale : dans le sens de l’histoire
Tous les intervenants en sont d’accord : toutes les réponses aux problèmes des quartiers ne se trouvent pas dans les quartiers ni dans la commune. Et les questions du logement, de l’emploi ou des transports ne peuvent trouver leur solution qu’à l’échelle de l’agglomération. Au-delà, l’exercice reste « très difficile » pour la plupart d’entre eux, dans des agglomérations qui changent radicalement de dimension à la faveur de la réforme territoriale.
Marc Vuillemot, Rodolphe Thomas et Catherine Arenou insistent sur l’importance de « la volonté politique commune » et la difficulté de convaincre des élus éloignés de ces sujets. Pour Romain Briot, chargé de mission à l’Assemblée des communautés de France (AdCF), il convient de replacer ces difficultés dans leur contexte, « avec un fait intercommunal très différent selon que l’on situe en Île-de-France, en PACA ou dans les DOM, et de nouvelles compétences administratives très lourdes à gérer parmi lesquelles la politique de la ville constitue parfois un sujet mineur ».
A l’évidence, la réforme a ouvert un chemin et nous en sommes encore au début d’un processus de moyen terme : « autant nous avons renforcé la péréquation des ressources au niveau national, autant la solidarité horizontale reste à construire ; les pactes de solidarité financière et fiscale, les rapports annuels sur politique de la ville prévus par la loi n’en sont encore qu’à leurs balbutiements », reconnaît Sébastien Jallet. Au plan de l’organisation, les formules choisies par les agglomérations varient également. Si au Mans on dispose maintenant d’un seul service d’agglomération, à Valenciennes on n’a pas cherché à intégrer les services des différentes communes mais on a fait le choix d’un travail en réseau très organisé et efficace. Car, comme le dira Marc Vuillemot, la politique de la ville ne se résume pas à une organisation, mais suppose aussi « une culture commune des équipes et des services » ; « un apprentissage de la relation aux administrations, aux associations et aux porteurs de projets », à développer dans la nouvelle configuration administrative.
Mobilisation des moyens de droit commun : le vrai combat
C’est probablement sur ce front que l’on part de plus loin. Comme le rappellent Marc Vuillemot et Sébastien Jallet à la suite du rapport de la Cour des comptes, les crédits de la politique de la ville ont longtemps servi de compensation et de justification a posteriori au retrait des moyens de droit commun dans les quartiers en politique de la ville. Dès lors, l’objectif même de solliciter l’engagement du droit commun sur des objectifs quantifiés dans ces quartiers constitue une révolution. Et c’est sur la dynamique suivie que les appréciations divergent. Pour Gilles Leproust comme pour Elizabeth Perrenot-Marque, élue à Septèmes-les-Vallons, les moyens de l’État sont en baisse, que ce soit à l’Éducation nationale ou à la Jeunesse et aux Sports. Tandis que pour Sébastien Jallet, on a réussi pour la première fois à atteindre une juste mobilisation des moyens du service public de l’emploi dans les quartiers (13% des moyens pour 13% des demandeurs d’emploi) et dans les cinq domaines prioritaires – emploi, éducation, transports, santé, logement – de nouvelles conventions interministérielles avec le ministère de la ville sont en cours d’élaboration pour la période 2017/2020.
Parmi les 3 piliers, l’emploi au cœur de toutes les priorités
La réorganisation des contrats de ville autour de 3 piliers entendait donner plus de cohérence et de lisibilité à ces documents. Mais elle a surtout mis en exergue l’insuffisance des actions en faveur de l’emploi, qui reste le problème numéro un des quartiers, et sur lequel les stratégies publiques doivent « rapidement déboucher sur du concret ». Il s’agit pour notre agglomération, dit Catherine Arenou, de « préparer les jeunes aux métiers d’avenir en mobilisant les grandes entreprises sur tous les grands chantiers pour des chantiers d’insertion ». A la région, « je fais tout pour convaincre mes collègues que les chantiers d’insertion sont une priorité absolue, en dehors de ce que nous pouvons mettre en oeuvre par ailleurs, en faveur de l’apprentissage », témoigne de son côté Rodolphe Thomas. Approbation générale.
Mais sur le terrain, des précautions s’imposent, rappelle Rachid Maziane, élu à La Seyne-sur-Mer : « il faut absolument permettre aux jeunes des quartiers d’aller faire leurs preuves dans d’autres secteurs géographiques et ne pas s’en tenir aux emplois de nettoyage et de gardiennage, aller sur des emplois plus qualifiés car il y a dans les quartiers de jeunes diplômés qui ne demandent qu’à travailler ».
S’il y a autour de la politique de la ville, « toutes sortes de résistances et de frilosités », une évolution culturelle est peut-être en marche à la faveur de la réforme Lamy. Une prise de conscience générale que cette politique concerne tous les domaines de l’action publique, locale ou nationale.
Des retours d’expérience positifs des conseils citoyens
Habitante d’Allonnes, Elisa Pasteau participe au conseil citoyen depuis le début, « parce qu’elle était nouvelle habitante et pour découvrir sa commune d’adoption et nouer des liens, s’intégrer plus vite » à la vie locale. La première fois, elle reconnaît d’emblée « n’avoir rien compris » car le contexte et le cadre d’intervention étaient « compliqués, très compliqués ». Un an après, elle ne regrette pourtant pas le temps investi, évoque d’elle-même plusieurs expériences enrichissantes ; « une marche exploratoire aux contours de la ville, une rencontre avec le conseil citoyen de Sablé-sur-Sarthe, une action contre le poids excessif des cartables » auprès des acteurs scolaires. En bref, elle juge l’initiative « intéressante et à poursuivre », restant « très enthousiaste pour continuer » d’en être.
Côté élus, la tonalité n’est pas très différente. A Chanteloup-les-Vignes, Catherine Arenou avoue n’avoir pas vu dans les conseils citoyens une révolution, mais plutôt « la continuation d’une expérience positive de démocratie locale, avec un conseil de participation citoyenne très actif ». Peu convaincue par l’idée du tirage au sort, la maire s’est appliquée à faire entrer au conseil citoyen « un tiers de personnes n’appartenant pas au quartier », avec pour résultat « un changement de regard complet sur le QPV et sur ses habitants, tout à fait bénéfique pour le vivre ensemble ».
Les jeunes et la participation
Premier point de divergence dans ce concert de satisfactions sur la mobilisation des jeunes. Pour Mathieu Cahn, président de l’Association nationale des conseils d’enfants et de jeunes (Anacej), qui travaille la question depuis 25 ans, le combat n’est pas gagné. « A Strasbourg où je suis élu, on a sollicité 450 jeunes pour les conseils citoyens, douze se sont déclarés volontaires et il n’en reste que deux aujourd’hui ! Car ils ne s’y retrouvent pas et se sentent peu à l’aise parmi les semi-professionnels ». Caroline Ladous, déléguée nationale de la Fédération des centres sociaux de France, le rejoint sur ce point : «nous avons mené une enquête auprès des jeunes des quartiers (publiée sous le titre « Ils ne savent pas ce qu’on pense ») et ils nous ont confié leur difficulté à se faire entendre et à être écoutés, leur sentiment de défiance devant les discriminations subies par beaucoup d’entre eux».
Pourtant, Catherine Arenou témoigne d’une expérience radicalement différente : « A Chanteloup-les-Vignes, les jeunes sont les plus moteurs au sein du conseil citoyen, ce sont eux qui se battent le plus pour se faire entendre et sortir de l’immobilisme ». « Avec eux comme avec les autres, conclut Mathieu Cahn, la seule formule qui vaille c’est d’aller-vers eux et de partir de projets concrets pour renouer la confiance, en les amenant progressivement vers la participation citoyenne, au lieu de chercher à les mobiliser de but en blanc pour ce type d’instances ».
Attention au formalisme, met aussi en garde Cyprien Avenel, sociologue travaillant pour la Direction Générale de la Cohésion sociale (DGCS) du ministère des Affaires sociales : « Il y a beaucoup d’énergie disponible dans la société, parmi les jeunes et au sein des conseils citoyens, dont on ne pourra tirer parti que si on sait aussi rester parfois dans l’informel ».
Conditions de réussite des conseils citoyens : la formation, l’écoute réciproque et le croisement des expertises, l’action communautaire
Quelques semaines après les rentrées citoyennes, Catherine Arenou exprime une opinion largement partagée : « Le premier enjeu, c’est la formation des conseils citoyens ; parce que pour donner un avis qualifié, il faut pouvoir comprendre les modes et les codes de fonctionnement ».
Pourtant, de l’avis général, former les habitants ne suffira pas. Il faudra former ensemble les participants et les acteurs institutionnels des conseils. Au-delà, comme le dit de la salle Benoît Boissière, chargé de mission à l’Inter-réseau des professionnels du développement social urbain (IR-DSU), non seulement il faut développer la co-formation, mais également « faire évoluer le fonctionnement des instances de pilotage » pour permettre à la parole citoyenne d’interpeller et d’infléchir l’action publique. Aux élus et aux institutionnels d’apprendre à s’exprimer clairement, à écouter et interroger les habitants, à débattre avec eux des actions à conduire.
En effet, dira Cyprien Avenel, l’on ne doit pas s’en tenir à cette « approche managériale cherchant à améliorer l’action publique […] Il nous faut désormais être collectivement capables de co-construire l’action publique et promouvoir toutes les formes d’action collective, ce qui n’est pas vraiment dans l’ADN de notre culture administrative. Nous devons donc former des intervenants communautaires (au sens canadien, non communautariste du terme) à même de faire remonter les idées et les propositions des quartiers et d’agir avec les habitants ». Ce que Caroline Ladous formulera d’une autre manière : « C’est bien ce que montre notre 3ème rapport « Tisser la confiance dans les quartiers populaires » sur la cohésion sociale. Il nous faut rencontrer et mobiliser tous les passeurs des quartiers, habitants, associatifs, fonctionnaires et acteurs de terrain, s’appuyer sur leur expérience et leur énergie pour faire changer les choses ».
Ce dont témoignent ainsi tous ceux qui prennent la parole à la tribune et dans la salle ; c’est que si les conseils citoyens constituent une avancée significative, d’une part ils ne peuvent être considérés comme les lieux exclusifs de la participation citoyenne, d’autre part ils donnent la mesure des changements culturels à opérer dans la démocratie locale. Car les habitants des quartiers sont impatients de débattre bien sûr, mais aussi de voir changer leur vie quotidienne et s’élargir leurs horizons. Sur l’éducation, la sécurité, l’emploi – qui sont pour eux des sujets majeurs trop rarement inscrits aux discussions des conseils citoyens – ils veulent donc à la fois pouvoir influencer l’action des pouvoirs publics et être considérés comme des interlocuteurs, des acteurs à part entière.
Un message plusieurs fois rappelé au cours de l’après-midi que Ville & Banlieue devra relayer auprès des ministres et dans toutes les instances, Comité national de suivi des conseils citoyens ou Conseil national des villes.