Trappes, une culture en partage : quand les habitants deviennent acteurs de la programmation culturelle

La Ville de Trappes a fait un pari audacieux : placer ses habitants au cœur des choix culturels pour construire une programmation qui reflète leurs envies et leurs aspirations. Cette démarche, loin d’être anodine, s’inscrit dans une vision ambitieuse de la culture comme levier d’émancipation et de cohésion sociale. Retour sur une initiative innovante qui transforme la ville en un espace d’expression partagé.

Pourquoi ?

L’accès à la culture pour tous est une priorité de la municipalité de Trappes. Mais au-delà de garantir une offre culturelle variée, la Ville souhaite impliquer activement les habitants dans sa programmation pour qu’elle leur ressemble et qu’ils s’approprient pleinement les événements et équipements culturels de la commune. Cette ambition s’appuie sur quatre piliers :

  • Découvrir : donner accès aux œuvres et aux artistes à travers des rencontres et des expériences variées.
  • Partager : créer des espaces de dialogue et d’échange pour permettre la confrontation des points de vue, le partage, la découverte et le vivre ensemble.
  • S’approprier : inscrire la culture dans l’histoire du territoire et encourager les projets participatifs.
  • S’émanciper : utiliser la culture comme un levier d’émancipation et d’ouverture sur le monde.

Cette ambition repose sur un constat simple : la culture ne doit pas être l’apanage d’une élite ou d’un cercle restreint d’initiés. « Nous voulons que les habitants soient non seulement spectateurs, mais aussi acteurs de la programmation culturelle », explique le maire de Trappes. « Notre ville a un fort héritage artistique, notamment dans le domaine de l’improvisation théâtrale, qui a vu émerger des talents comme Jamel Debbouze ou Omar Sy. Il était naturel de s’appuyer sur cette tradition pour renouveler notre approche de la culture. »

Comment ?

Le passage d’une offre culturelle descendante à un modèle participatif a nécessité un changement profond des mentalités, tant chez les habitants que chez les agents culturels. « L’un des plus grands défis a été d’accompagner nos équipes municipales dans cette transformation », reconnaît le maire. « Il a fallu que les spécialistes de la culture acceptent d’ouvrir leur programmation aux habitants et de travailler avec eux d’égal à égal. »

Le résultat ? Une implication grandissante de la population, qui se traduit par des initiatives foisonnantes et un renforcement du lien entre habitants et structures culturelles. Aujourd’hui, il est courant de voir des jeunes participer à l’élaboration de la programmation de la saison culturelle des équipements municipaux, ou encore des habitants organiser eux-mêmes des projections cinématographiques dans le cadre du Cinéma municipal Omar Sy-Grenier à Sel.

Les Jeunes Ambassadeurs Culturels : une expérience immersive pour la jeunesse

Depuis quatre ans, la Ville de Trappes fait confiance à ses jeunes pour concevoir une partie de la programmation culturelle. Regroupés en équipes encadrées par la direction de la culture et de la jeunesse, des Trappistes âgés de 14 à 25 ans découvrent pendant six mois différentes disciplines artistiques à travers des sorties au théâtre, au cinéma, dans des musées ou lors de salons littéraires. Cette immersion leur permet d’appréhender les enjeux d’une programmation et de sélectionner eux-mêmes les œuvres qu’ils souhaitent proposer au public trappiste.

Cette expérience va bien au-delà de la simple sélection d’événements : elle favorise l’esprit critique, développe des compétences en argumentation et en prise de parole et offre aux jeunes l’opportunité de se confronter aux réalités techniques et budgétaires de la programmation culturelle. En 2025, cette initiative franchira une nouvelle étape avec la création d’un festival pluridisciplinaire organisé par les Jeunes Ambassadeurs Culturels autour de la thématique des luttes sociales et sociétales.

Les ateliers de programmation et sondages au Cinéma municipal Omar Sy-Grenier à sel

Après une année de travaux, le cinéma municipal a rouvert ses portes en 2024 avec une nouvelle mission : devenir un espace participatif où les habitants ne sont pas seulement spectateurs, mais aussi acteurs des choix de programmation. À travers des ateliers réguliers, les Trappistes peuvent sélectionner les films projetés et proposer des cycles thématiques. Des sondages sont également organisés pour permettre au public de choisir des films de répertoire qu’il souhaite voir ou revoir. Grâce à cette démarche, des classiques comme Point Break, L’Armée des 12 singes ou La La Land ont retrouvé l’affiche à Trappes.

Un territoire transformé en musée à ciel ouvert

La Ville de Trappes a également engagé une réflexion autour de l’art urbain, en associant pleinement les habitants à la sélection des artistes et à la création des œuvres. En 2024, un premier projet de fresque murale a vu le jour grâce à l’artiste ADEC, choisi par un jury composé d’habitants de tous âges. Cette œuvre a été réalisée à partir de récits collectés lors d’ateliers d’écriture. Fort de ce succès, un nouveau projet similaire sera lancé en 2025 autour du thème Liberté, Égalité, Fraternité.

Des assemblées citoyennes et des associations au service de la culture locale

L’implication des habitants passe aussi par les assemblées citoyennes et les associations locales, qui participent activement à la mise en œuvre de projets culturels. En 2025, un mois entier sera consacré à la culture portugaise, en partenariat avec l’Association portugaise de Trappes. Au programme : expositions, dégustations culinaires, ateliers artistiques, projections de films, spectacles de fado et rencontres littéraires. Cette initiative illustre la volonté de la Ville de valoriser la diversité culturelle du territoire et d’en faire un levier de dialogue et de partage.

Quel bilan ? 

Les différents dispositifs mis en place ont déjà porté leurs fruits en renforçant la participation des Trappistes à la vie culturelle de leur ville. En intégrant les habitants dans la programmation, la municipalité leur offre un rôle actif et développe un véritable sentiment d’appartenance. Les Jeunes Ambassadeurs Culturels ont ainsi permis l’émergence d’un public jeune et curieux, tandis que les ateliers et sondages du cinéma Omar Sy-Grenier à sel ont démocratisé l’accès à une programmation plus variée et représentative des goûts des habitants.

En 2025, la Ville poursuivra cette dynamique en expérimentant de nouveaux formats participatifs et en consolidant les initiatives existantes. L’objectif : faire de Trappes une ville où la culture se vit, se partage et se construit collectivement.

Le projet en images

L’interview d’Ali Rabeh, maire de Trappes

Pourquoi la participation citoyenne est-elle au cœur de votre politique culturelle ?

La culture ne doit pas être réservée à une élite ou à un cercle restreint de « sachants ». Nous nous inscrivons dans la dynamique des droits culturels proclamés à la fin du XXᵉ siècle, qui encouragent les habitants à être non seulement consommateurs, mais aussi producteurs de culture. Nous voulons leur donner la possibilité de s’exprimer, d’influencer les choix culturels de la ville et de se sentir pleinement légitimes dans ce domaine.

Trappes a une tradition forte en matière de culture, notamment grâce à son héritage communiste qui a façonné un véritable vivier d’acteurs culturels. Des personnalités comme Omar Sy ou Jamel Debbouze en sont issues, et notre ville est devenue une référence dans l’improvisation théâtrale, sous l’impulsion d’Alain Degois. Ce dernier, metteur en scène de renom, a formé des générations de jeunes Trappistes et a largement contribué à structurer notre politique culturelle. Aujourd’hui, cette dynamique irrigue l’ensemble de nos structures culturelles, et il est devenu naturel pour notre directeur de théâtre de co-construire sa programmation avec les habitants.

Quels ont été les défis majeurs rencontrés pour mettre en place cette démarche participative ?

L’un des plus grands défis a été le changement de mentalité des agents municipaux et des spécialistes de la culture, qui ont dû abandonner leur posture d’experts incontestables pour adopter une approche plus ouverte et participative. Nous avons recruté des professionnels partageant cette vision, et notre nouveau directeur culturel l’a mise en œuvre avec beaucoup de volontarisme et d’énergie.

Le second défi a été d’embarquer les habitants dans cette aventure. Pour beaucoup, la culture semblait inaccessible, et il a fallu leur prouver que leur voix comptait. Mais les résultats sont là : des jeunes aux seniors, les Trappistes répondent présents. Lors du lancement de la saison théâtrale, c’est une jeune de 20 ans qui a présenté les spectacles programmés – une vraie victoire pour l’appropriation de la culture par les habitants.

Comment cette approche a-t-elle transformé la vie culturelle de Trappes ?

Nous avons voulu casser les barrières entre institutions culturelles et habitants. Par exemple, plusieurs fois par an, la mairie met à disposition ses équipements pour des initiatives locales. Une jeune femme a ainsi pu organiser un événement mêlant humour, rap, danse hip-hop et chorale d’église. Ces projets, autrefois confidentiels, remplissent aujourd’hui nos salles de spectacle.

L’impact est double : d’un côté, des amateurs atteignent un niveau d’expertise impressionnant ; de l’autre, les publics des quartiers investissent enfin les lieux culturels, tant en tant que spectateurs qu’en tant qu’acteurs.

Quel rôle jouent les Jeunes Ambassadeurs Culturels dans cette dynamique ?

Ces jeunes, âgés de 14 à 25 ans, découvrent différentes disciplines artistiques et participent activement à la programmation culturelle de la ville. Accompagnés par nos services culturels et jeunesse, ils sélectionnent eux-mêmes des spectacles, films et parcours littéraires.

Un exemple marquant : ils ont organisé une projection-débat sur un documentaire traitant de la guerre au Congo et des réparations demandées par les populations victimes. Contre toute attente, la salle était comble ! Cela montre bien que nos jeunes ont des centres d’intérêt diversifiés et qu’ils sont capables d’ouvrir le débat sur des sujets profonds et engagés.

Pourquoi avez-vous choisi de créer un festival autour des luttes sociales et sociétales en 2025 ?

Les Jeunes Ambassadeurs ont exprimé le besoin d’avoir leur propre espace d’expression, avec un budget dédié qu’ils piloteront eux-mêmes. Ce festival abordera des thématiques comme l’écologie, le féminisme et d’autres grandes causes sociales. Il s’inscrit dans notre volonté de leur donner un rôle actif et de reconnaître leur place au sein de la programmation culturelle de la ville.

L’art urbain prend une place importante à Trappes, quels sont vos projets à venir ?

C’est un projet qui me tient particulièrement à cœur. J’ai grandi dans un quartier prioritaire et je n’ai jamais eu accès à l’art dans l’espace public. Aujourd’hui, lorsque je me promène à Trappes et que je vois ces façades grises, je me dis qu’elles doivent devenir des toiles d’expression.

La fresque réalisée par ADEC est un succès : elle représente des scènes de vie du quartier et a été entièrement co-construite avec les habitants. Un jury citoyen a sélectionné l’artiste après deux jours d’auditions. Mon objectif est d’aller encore plus loin, en impliquant aussi les bailleurs sociaux pour qu’ils mettent leurs façades à disposition. Nous voulons réaliser une fresque par an pour transformer la ville en un véritable musée à ciel ouvert.

Avez-vous constaté une évolution du public dans les équipements culturels ?

Absolument. Nous avons adapté notre politique tarifaire et facilité l’accès à la culture pour différents publics, notamment via les centres sociaux et les ateliers sociolinguistiques pour les apprenants en français.

Il y a dix ans, la programmation était principalement centrée sur la musique baroque et classique, attirant un public issu des villes alentour. Aujourd’hui, nous avons diversifié l’offre et touché un public plus large. Nous avons également instauré une Fête de la Musique à Trappes, qui n’existait pas auparavant.

Quel rôle jouent les associations locales dans cette dynamique ?

Elles sont essentielles ! Par exemple, la scène ouverte dont nous avons parlé est entièrement organisée par une association locale. Cette année, elle a dû refuser du monde tant la salle était pleine. Cela montre bien que les habitants s’approprient ces initiatives et qu’ils en redemandent.

Quels sont les prochains grands rendez-vous culturels à Trappes ?

Nous avons rénové notre cinéma municipal, qui propose désormais un ciné-débat mensuel sur des thématiques engagées comme la Palestine ou l’égalité femmes-hommes. L’objectif est d’en faire un espace où les habitants peuvent s’exprimer et débattre librement.

Quel message souhaitez-vous adresser aux habitants qui hésitent encore à s’impliquer dans la vie culturelle de la commune ?

La culture, c’est l’émancipation et la citoyenneté. Nous investissons énormément dans l’éducation artistique et culturelle dès le plus jeune âge : orchestres à l’école, classes à horaires aménagés… Tous les jeunes de Trappes iront au moins une fois à la Comédie-Française.

Nous sommes convaincus que si nous leur donnons accès à l’art et à la culture, nous en ferons des adultes ouverts, capables de s’enrichir au contact des autres et de s’inscrire pleinement dans notre République.

Et aux élus qui hésitent à s’engager dans une démarche similaire ?

Dans nos quartiers prioritaires, la culture ne doit pas être un « supplément d’âme ». Elle doit être aussi essentielle que le sport. L’État a un rôle fondamental à jouer : abandonner cette ambition, ce serait un drame. La culture tisse des liens, renforce le sentiment d’appartenance et redonne de la fierté aux habitants. Il ne faut jamais sous-estimer son pouvoir fédérateur.

Fiche d'identité de la communeLe projet en chiffres
  • Nom : Trappes
  • Département : Yvelines
  • Région : Ile de France
  • Population : 33 717 habitants
  • Maire : Ali Rabeh
  • Site internet : Site de la ville
  • 4 ans : durée d’existence du programme des Jeunes Ambassadeurs Culturels, qui implique les jeunes dans la programmation artistique.
  • 14 à 25 ans : tranche d’âge des jeunes impliqués dans les Jeunes Ambassadeurs Culturels.
  • 1 festival : entièrement organisé par les jeunes ambassadeurs à partir de 2025, autour des luttes sociales et sociétales.
  • 1 fresque murale par an : objectif pour faire de Trappes un musée à ciel ouvert.
  • 2 jours de jury citoyen : pour sélectionner l’artiste de la première fresque murale participative.
  • 100 % des jeunes Trappistes : bénéficieront d’une sortie culturelle à la Comédie-Française dans le cadre de l’éducation artistique et culturelle.
  • 1 ciné-débat par mois : organisé au cinéma municipal Omar Sy-Grenier à Sel, sur des thématiques engagées (Palestine, égalité femmes-hommes…).
Publié dans :