Après le 11 janvier ? Tout commence.
Retour sur le CIEC du 6 mars
Quelles réponses politiques aux attentats de début janvier ? Après les mesures sécuritaires et de lutte contre la radicalisation apportées par le ministre de l’Intérieur et celles annoncées par la ministre de l’Education nationale pour renforcer la transmission des valeurs républicaines, le Gouvernement entendait apporter une réponse plus globale et cohérente. C’était l’objet du Comité interministériel sur l’égalité et la citoyenneté, organisé ce 6 mars par le Premier ministre, en lieu et place du CIV annoncé au départ.
Il est sans doute difficile – parce que toujours long, parfois fastidieux et inévitablement nuancé – de commenter un catalogue de près de 60 mesures. Nombreux sont donc ceux qui, parmi les politiques comme dans les médias, auront préféré faire un sort rapide aux mesures phares sur la mixité sociale, en s’exonérant de tout commentaire sur le reste au nom de l’insignifiance budgétaire : trop peu de moyens, un manque d’ambition et de volonté politique, une stratégie réduite à celle de l’affichage et de la communication… On connaît la chanson ? Certains ne semblent pas se lasser de l’entonner, au risque de voir la paresse intellectuelle prêter la main à une sorte de découragement auto-entretenu.
Sans prétendre à l’exhaustivité , nous voudrions seulement inviter ici à y regarder de plus près, sans complaisance mais sans préjugés. Revue (sélective) des mesures, tantôt commentées tantôt oubliées qui, à différents titres, nous intéressent.
Vivre en citoyen(ne)s
Un mot cependant, en préambule, sur la logique d’ensemble. Comment défendre la République attaquée en janvier ? En réaffirmant ses symboles et ses valeurs sans doute, à l’école, dans l’espace public et dans la société. Mais aussi en en faisant mieux comprendre les bénéfices et partager les acquis. En montrant que ces valeurs restent actives et guident l’action publique contre les inégalités et les discriminations de toutes sortes, pour des droits réels ; en donnant effectivement à tous des chances plus égales d’accéder à l’activité et à l’utilité sociale, au logement, à la sécurité, à la formation et à la culture, à la santé ; à tout ce qui confère à une vie d’homme ou de femme, la possibilité d’exercer pour de vrai sa citoyenneté. D’où cette nécessité d’agir simultanément, fût-ce à petits pas, sur tous les registres à la fois.
Le cap réaffirmé de la « mixité sociale » dans l’urbanisme, le logement et l’école
Ce sont les mesures qui ont fait les titres, à partir d’une intention claire : corriger la répartition du logement social dans nos agglomérations pour rompre la dynamique de ghettoïsation. Deux mesures complémentaires l’une de l’autre : d’abord le pouvoir d’intervention des préfets qui pourront se substituer aux maires pour délivrer des permis de construire dans les (216) communes n’ayant pas rempli leurs obligations à l’égard de la loi SRU ; ensuite des consignes données aux mêmes préfets pour limiter la construction de logements sociaux dans les quartiers prioritaires dès lors que le taux de logement social y dépassera 50%. Et un codicille demandé par les maires de banlieue, pour « cesser d’ajouter de la pauvreté à la pauvreté » : que les personnes dont les revenus se situent au-dessous du seuil de pauvreté ne soient pas relogées dans ces quartiers, y compris les familles éligibles au droit au logement opposable (Dalo).
Tout cela dirigé par un nouveau chef d’orchestre : Thierry Repentin, ancien maire, ancien ministre et grand spécialiste du logement, nommé délégué interministériel et chargé de veiller à la bonne application de ces dispositions que viennent compléter deux ou trois mesures additionnelles : une révision de la politique des loyers pour les adapter aux capacités financières des postulants, proposer ici à des prix plus bas des logements de meilleur standing à des ménages modestes, là des logements plus chers à des ménages plus aisés ; un pilotage de l’attribution de logements à l’échelle intercommunale pour se donner plus de possibilités de rééquilibrage ; enfin, une dynamisation de la construction par une prime (modeste, de 2000 € par logement) aux maires bâtisseurs, et une accélération de la mise en oeuvre du NPNRU (grâce à un préfinancement d’opérations par la CDC dès 2015/2016).
De notre point de vue, l’intention et la direction sont bonnes, car la concentration urbaine de la pauvreté est une voie sans issue, qui ne fait qu’ajouter de la ségrégation à l’acuité des difficultés sociales. Pourtant, tout n’est pas réglé pour autant, et bien des questions demeurent quant à la viabilité, l’efficacité du dispositif :
tout d’abord, comment les personnes éligibles au Dalo, les personnes en situation d’urgence ou en grande difficulté pourront-elles être logées compte tenu de la localisation effective du logement social et de la pénurie de logements dans certains secteurs, notamment en Ile-de-France ?
Pourquoi les préfets se montreraient-ils plus interventionnistes cette fois-ci alors que la contrainte légale leur appartient depuis longtemps ?
Les promoteurs se lanceront-ils contre l’avis des maires dans les villes où le préfet aura pris la main ?
Ne faut-il pas obliger à produire partout du logement très social (PLAI) ?
Imposer partout un indicateur de mixité sociale ?
Relancer nationalement le financement du logement social, en chute libre depuis 4 ans, développer l’intermédiation locative, systématiser la rénovation énergétique des logements dégradés ou vétustes?
L’attractivité des logements proposés l’emportera-t-elle sur la mauvaise image de certains quartiers, dont la diversification sera sans doute longue et difficile ?
Avec ses procédures lourdes et exigeantes, le NPNRU peut-il participer à cette course contre la montre ?
Enfin, le pari ne dépend-il pas in fine de l’augmentation générale de l’offre et de la reprise de la construction de logement, enlisée depuis plusieurs années mais seule à même de permettre de vrais parcours résidentiels ?
Seule certitude pour nous : il fallait sortir de l’immobilisme vis-à-vis de ceux qui refusent de jouer le jeu de la solidarité, envoyer un signal fort à tous -élus, bailleurs, aménageurs- et aucun statu quo n’était préférable à la dynamique ici engagée.
Dans la même logique, c’est la mixité sociale à l’école qui est réaffirmée comme l’une de nos priorités : avec une carte scolaire repensée à une échelle plus large, regroupant plusieurs collèges ou lycées ; une offre éducative redistribuée en fonction de l’accessibilité réelle des établissements en transports en commun ; des enseignants plus incités à effectuer une partie de leur parcours au sein de l’éducation prioritaire.
Là encore, pensons-nous : ces bonnes mesures ne suffiront pas à elles seules et l’on n’obtiendra de résultat significatif qu’en agissant, simultanément et massivement, sur la qualité éducative, l’aide pédagogique et financière apportée aux établissements accueillant les élèves le plus en difficulté.
Une politique de la langue française
Qui ne s’en est pas fait la réflexion un jour ou l’autre ? Piégés par la pauvreté de leur lexique et défaits, à toutes les phrases, dans leur combat avec la syntaxe, beaucoup de jeunes et de moins jeunes Français se débattent avec la langue française comme avec une langue étrangère. Retards pour certains, abîmes pour les autres, illettrisme pour les plus en difficulté, qui sont tout de même plus de 2 millions dans le pays. Redoutables inégalités pour tous, et dans toute leur vie sociale.
Nous avions donc réclamé pour les banlieues une politique de la langue française et des facilités pour développer un multi-linguisme qui y a plus qu’un début d’existence et représente, à l’heure de la mondialisation, un atout incontestable. Le plan du gouvernement y apporte un début de réponse : avec un renforcement de l’apprentissage du français aux cycles 1 et 2 (programmes, recherche, évaluation) ; une valorisation des compétences par des appels à projets, une réorientation des enseignements de langue et culture d’origine, un effort enfin pour donner aux enfants des quartiers plus de possibilités de partir étudier à l’étranger (en bénéficiant du programme européen Erasmus+). Sans évoquer ici les mesures destinées à favoriser l’intégration par la langue des candidats à la naturalisation, primo-arrivants ou étrangers installés en France depuis plus longtemps. Des évidences ? Oui, tardivement mais enfin reconnues.
Education : petits coups de pouce pour l’égalité face à la réussite scolaire
Nous les avions toutes proposées à Ville & Banlieue : sans doute ne sont-elles pas assez nombreuses ni financées… mais les mesures qualitatives sont là. Dans la scolarisation des enfants de moins de 3 ans, la lutte amplifiée contre le décrochage scolaire et l’extension des dispositifs de la 2ème chance, l’extension du programme de réussite éducative, l’accompagnement concret des lycéens de banlieue vers les filières d’excellence, écoles ou classes préparatoires.
Sans doute pourra-t-on regretter que seuls 50% des enfants de moins de 3 ans soient visés. Que l’on n’évoque pas le nombre d’heures de soutien individualisé réellement financées au titre des PRE (ainsi que leur taux de rémunération). Ou que l’on oublie encore de poser la question de la réduction massive des effectifs de classe dans les établissements de l’éducation prioritaire… Il reste que ces premiers pas vont encore, malgré tout, dans la bonne direction.
Sport, culture, sécurité : quand la proximité revient
Sur ces sujets, nous avions demandé que l’on se soucie avant tout des pratiques réelles. Des équipements pour le sport, des moyens pour les pratiques culturelles dans les quartiers. C’est ici chose faite. Même pragmatisme dans le domaine de la sécurité, où la fonction de proximité est de nouveau (mais sans le dire) reconnue : effectifs plus nombreux, caméras-piétons pour retisser la confiance entre la police et la population, solutions d’insertion proposées par ceux qui ne sont pas seulement les gardiens de l’ordre public (pack 2ème chance).
Ce petit programme laisse tout de même pendantes deux questions fortes : en quoi et comment les actuelles ZSP seront-elles prolongées ? Et quels moyens nouveaux seront donnés à l’effectuation et à l’encadrement des TIGE ? Pour les maires que nous sommes, il est capital d’y apporter très vite réponse.
Santé : premiers soins, en attendant mieux
Sur ce chapitre, l’on recommandera surtout ne pas s’en tenir aux annonces faites. Mais d’agir plus vigoureusement contre la désertification médicale dans certains quartiers et le non recours au soin, l’organisation de la médecine de proximité et de premier recours, le délitement constaté de la médecine scolaire.
Emploi : entre le très flou et le très concret
Pour le flou : c’est l’agence de développement économique des territoires dont on saisit encore mal la fonction et la place dans un paysage en plein bouleversement institutionnel. Pour le concret, c’est la mise en place d’une vaste plateforme publique de parrainage individuel (coup de pouce sans doute plus efficace et opérationnel que le poussif contrat de génération) ; ou encore le contrat « starter » visant à développement les emplois aidés dans le secteur marchand, malgré toutes les réservées habituellement émises en ce domaine.
Numérique : et si on l’avait enfin pris les choses par le bon bout ?
Au-delà du Grand plan numérique et autres mesures macro à forte teneur incantatoire, c’est peut-être la vraie bonne méthode qui est ici à l’œuvre : une grande école du numérique qui vérifie, labellise et organise le paysage de la formation ; des formations accélérées, intensives, orientées vers l’activité réelle et accessibles sans conditions de diplôme ; un développement corrélé à celui des pratiques de terrain, stimulées par ailleurs par des appels à projet au service du mieux vivre ensemble dans la ville (dispositif « fix it » des quartiers), une offre de citoyenneté fortement attractive pour les jeunes (« les hackathons » associatifs).
Alors, redisons-le au risque de nous attirer les foudres des critiques habituels : ce programme ne sonne pas le grand soir de la Justice sociale. Mais il a pour lui le mérite de la cohérence, en direction d’une égalité et d’une citoyenneté plus effectives. Assises sur des mesures politiques attendues, et d’autres moins. Bonne nouvelle, car de notre point de vue, l’heure n’est pas seulement au volontarisme, mais aussi à l’imagination et à l’innovation sociale.
Lien :
– Egalité et citoyenneté : la République en actes