Plan pour les banlieues : la colère des maires et des associatifs
Les acteurs de terrain, qui ont présenté leurs travaux à Jacques Mézard, craignent que le gouvernement fasse du rural sa priorité.
LE MONDE | 19.03.2018 à 12h21 | Par Louise Couvelaire
Ils parlent d’une « douche froide », d’une séance « humiliante », d’un « rendez-vous manqué », d’une « gifle monumentale », d’une manœuvre « odieuse » et « méprisante ». Jeudi 15 mars, une cinquantaine d’élus et de représentants d’associations de banlieue sont ressortis furieux du ministère de la cohésion des territoires, où se tenait une réunion en présence du ministre Jacques Mézard. Depuis, ils ne décolèrent pas.
Point d’étape clé dans la « coconstruction » d’une nouvelle ambition pour les quartiers populaires promise par Emmanuel Macron, en novembre 2017, lors de son discours de Tourcoing (Nord), cette rencontre, destinée à présenter les travaux des acteurs de terrain, « a fait pschitt », commente Philippe Rio, maire (PCF) de Grigny (Essonne). « Le moins que l’on puisse dire, c’est que nous n’avons pas senti d’enthousiasme », déplore Thibault Renaudin, secrétaire général de l’Association de la fondation étudiante pour la ville (AFEV).
« Déception »
Les participants décrivent un ministre qui « n’a pas dit un mot de toute la réunion » après être arrivé avec plus d’une heure de retard. « Il ne s’est intéressé à rien et n’a posé aucune question : à l’évidence, le sujet l’emmerde », en conclut un associatif. « Nous attendions un cadre, des objectifs, un calendrier, un retour… Mais non, rien, il n’y avait pas de son », regrette une élue. « Cette rencontre n’est pas très prometteuse, se désole Chantal Dardelet, responsable du pôle égalités des chances de l’école de commerce Essec. On craint de se faire rouler dans la farine. »
L’absence du secrétaire d’Etat Julien Denormandie – il était à Cannes, au marché international des professionnels de l’immobilier – a également été perçue comme un signe de désintérêt. La « déception » et la « perte de confiance » sont telles que certains songent à quitter le processus de « mobilisation nationale pour la ville et les quartiers » voulue par l’Elysée.
A Tourcoing, le président de la République avait invité tous les acteurs de terrain à s’engager dans une démarche de coconstruction. Une approche destinée à donner un nouvel élan à la politique de la ville, qui venait de souffler ses quarante bougies dans un contexte particulièrement tendu. L’annonce, quelques mois plus tôt, des coupes budgétaires puis du gel des contrats aidés avait déclenché les foudres des maires et des associations œuvrant dans les territoires urbains défavorisés. Ils avaient alors fait entendre leur voix en organisant, mi-octobre, les états de généraux de la politique de la ville, baptisés par la suite « appel de Grigny ».
« Désintérêt manifeste »
Depuis l’annonce du chef de l’Etat, on ne les entendait plus, trop occupés à « travailler comme des malades », souligne Jean-Philippe Acensi, président de l’association Bleu, blanc, zèbre. Cela fait plus de cinq mois que les élus et les associatifs sillonnent la France et enchaînent les groupes de travail thématiques (éducation, emploi, insertion, apprentissage, culture, sport…). Le tout, sous la houlette de Jean-Louis Borloo, missionné par le chef de l’Etat pour soumettre au gouvernement un ensemble de propositions qui devraient être présentées dans trois semaines.
Pour beaucoup, ce qu’ils perçoivent aujourd’hui comme un « désintérêt manifeste » pour leurs travaux est avant tout la conséquence d’une mise en concurrence « aberrante » et « malsaine » entre milieu rural et milieu urbain. « C’est ce qui se joue en creux, nous le sentons bien », déclare Thibault Renaudin, de l’AFEV. « Il y a un équilibre à trouver entre les deux et de nombreuses possibilités de répartition équitable des moyens, plaide Catherine Vautrin, présidente (LR) du Grand Reims (Marne). On ne peut pas jouer l’urbain contre le rural. »
Cette crainte est nourrie par « les inclinaisons naturelles du ministre Mézard pour la ruralité et les villes moyennes », jugent certains, et l’actualité. Afin de faire taire la grogne du milieu rural – limitation de la vitesse sur les routes départementales à 80 km/h notamment –, Emmanuel Macron a passé douze heures au Salon de l’agriculture, quelques jours seulement après avoir reçu plusieurs centaines de jeunes agriculteurs à l’Elysée. « Nous risquons de passer à la trappe », redoute Philippe Rio, à Grigny.