Harangue à la Nation
NOUS, territoires urbains vulnérables, jeunes et populaires,
avec leurs habitant.e.s, acteurs sociaux et élu.e.s, faisons partie intégrante de la Nation.
C’est pourquoi nous portons :
UNE HARANGUE DES TERRITOIRES
POUR UNE FRATERNITÉ NATIONALE RETROUVÉE
Le quinquennat qui s’achève a été marqué par la mobilisation de l’Appel de Grigny, le rendez-vous manqué du Rapport Borloo et enfin un rattrapage par le Plan de relance pour les Quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et du Comité Interministériel à la Ville (CIV).
Les vulnérabilités, fragilités et inégalités se sont indéniablement accrues, notamment en raison des conséquences sociales et économiques de la crise sanitaire.
Avec l’ambition d’une réconciliation républicaine par une relance d’un contrat social universel, nous projetons pour un souffle nouveau et une dynamique :
- une nouvelle ambition républicaine,
- une nouvelle méthode de co-production et d’animation pour des solutions locales d’intérêt national,
- le déploiement vital de moyens renforcés du droit commun.
NOUS, TERRITOIRES JEUNES ET POPULAIRES, AMBITIONNONS D’ÉTAYER ET CIMENTER LES ASSISES RÉPUBLICAINES DE TOUTE LA NATION
La République, c’est l’Égalité de tous sur le sol français, quelle que soit son histoire personnelle et familiale.
L’identité de la France, tangible car attestée par l’Histoire, c’est cette multiplicité visible, riche, belle, égalitaire et fraternelle. Le triptyque républicain Liberté-Égalité-Fraternité et son fil rouge laïque se fondent sur la reconnaissance de cette identité, indubitable et vécue.
La corruption de l’un de ces fondements conduit à la fracture de tout l’édifice. Toute rupture d’Égalité, sociale et territoriale, nuit gravement à la Fraternité. Elle nourrit un anti-républicanisme (nationalismes et intégrismes religieux) et falsifie la réalité de notre identité républicaine. La crise sanitaire et son incidence sociale ont accentué la fragilisation de ces assises.
Cependant, même si la brèche est profonde pour les 5,5 millions d’habitants des QPV, de métropole et d’outremer, nous affichons l’ambition de cimenter les fondations républicaines en réinventant l’Égalité territoriale et une Identité française du XXIe siècle. Depuis le début de la pandémie, nos résidents font preuve de leurs aspirations en ce sens.
NOUS, TERRITOIRES JEUNES ET POPULAIRES, ENGAGEONS NOTRE FRATERNITÉ AU SERVICE DE LA NATION
Une grande part de celles et ceux qui étaient applaudis tous les soirs au début de la pandémie habitent nos quartiers. Ce sont des agents des crèches, des écoles et des cantines, des aides-soignants et personnels de ménage des EHPAD et des hôpitaux, des gardiens d’immeubles et médiateurs de rue, fossoyeurs, cantonniers et éboueurs, des chauffeurs de bus, magasiniers, caissiers et livreurs, ou des agents d’accueil, de surveillance et de sécurité. Dans l’adversité sanitaire, sociale et économique, ils sont aussi en première ligne pour prendre soin de tous.
Leur mobilisation sans faille, dans la durée, atteste que la Nation a besoin de tous nos concitoyens dans la Fraternité. Mais le corollaire est qu’ils ont besoin de celle de la Nation.
L’attendre et l’exiger ne nous empêche pas de nous revendiquer en territoires responsables, actifs et créatifs, sachant faire vivre le droit à l’utopie. C’est pourquoi nous lançons, avec nos populations et nos élus, une harangue à la Nation.
Nous, territoires urbains, sommes forts de la jeunesse de nos populations comme de la sagesse de nos anciens, d’une solidarité éprouvée au quotidien, d’innombrables initiatives et expériences associatives, et de l’esprit d’entreprendre de nos habitants.
NOUS, TERRITOIRES JEUNES ET POPULAIRES, PROPOSONS D’ÊTRE PORTEURS DE SOLUTIONS LOCALES D’INTÉRÊT NATIONAL
Forts des succès obtenus dans leurs quartiers, élus, services publics locaux, associations, acteurs économiques et habitants ont imaginé et développé des solutions utiles méritant un essaimage national, comme les Cités éducatives et les Vacances et colos apprenantes.
La production originelle des politiques publiques, historiquement ancrée dans une dynamique descendante, c’est-à-dire de l’État vers nos territoires, s’est aujourd’hui inversée au profit d’une co- construction avec les collectivités territoriales.
C'est cette méthode inédite, plus horizontale, qu'il convient de pérenniser pour maintenir une agilité dans la conduite des stratégies publiques et sortir des appels à projets systémiques. Son corollaire est une évaluation permanente répondant à un souci de transparence d’utilisation des fonds publics, et permettant aussi d’activer un baromètre quantitatif des actions menées.
C’est vrai dans le cadre des dispositifs tels que les contrats de ville, conventions de rénovation et renouvellement urbains, leviers opérationnels dont la spécificité structurelle et locale est à affirmer et préserver avec un portage partagé entre les communes et les intercommunalités, plutôt qu'à diluer dans des contrats partenariaux d’orientations territoriales plus larges.
C’est également vrai dans nos territoires avec le déploiement des ressources et moyens de droit commun de l’État, des établissements publics, notamment sanitaires et sociaux, des régions, départements, intercommunalités et communes.
C’est cette nécessité de suivi permettant la régulation permanente des moyens déployés et de leur usage qui justifie notre attachement à la création d’une Cour de justice d’équité territoriale. Celle-ci pourrait être saisie lorsque les moyens sont insuffisamment déployés, lorsqu’un constat de carence est établi, ou lorsque des effets utiles ne sont pas au rendez-vous des mesures engagées.
Les projets et programmes d’action doivent en conséquence être considérés comme de véritables missions dont l’animation relève de la responsabilité régalienne. Un renforcement d’expertise et d’ingénierie de projet pour accompagner la réalisation des objectifs est plus que nécessaire dans les services de l’État à l’échelle préfectorale.
NOUS, TERRITOIRES JEUNES ET POPULAIRES, ASPIRONS À UN SURSAUT VERS UN CONTRAT SOCIAL UNIVERSEL, POUR FAIRE RÉPUBLIQUE ENSEMBLE
Quoiqu’on en dise, 40 ans d’accompagnement social et de rénovation urbaine ont changé le visage de nos quartiers à l’abandon. Notre ambition d’aller plus loin se renforce à mesure que le contexte social et économique s’aggrave, fragilisant les avancées que nous avons connues grâce aux collectivités et à l’État.
Nous, territoires urbains, nous reconnaissons dans la Contribution commune à l’attention des candidats à l’élection présidentielle 2022 pour un pacte de confiance durable entre l’État et nos collectivités, co-produite par six associations de communes et intercommunalités : l’Association des Maires de France (AMF), l'Association des Maires d'Île-de-France (AMIF), l’Association des Petites Villes de France (APVF), Villes de France, France Urbaine (FU) et l’Association des Maires Ville & Banlieue de France (AMVBF).
Nous visons et avons la possibilité de faire reculer la pauvreté urbaine par un droit commun renforcé de l’action sociale et solidaire.
C’est à un État entreprenant de faire en sorte que, dans chaque QPV, sous le pilotage partagé de la Ville, du Département et de la Préfecture, soit définie et animée une stratégie territoriale de prévention, de lutte contre la pauvreté et d’accès aux droits en direction de publics cibles comme les jeunes enfants, les jeunes, les parents isolés, les personnes âgées, imposant ainsi la mobilisation de leurs ressources et celles des organismes sociaux telles que les caisses d’allocations familiales.
Nous voulons et pouvons en finir avec la carence de logement social dans certaines régions, avec les habitats indignes, sur-occupés, mal isolés, dans des environnements urbains dégradés.
C’est à un État audacieux de contraindre les propriétaires à la rénovation des taudis des centres-villes et des copropriétés périurbaines. Il n’est pas envisageable de ne pas appliquer la loi de solidarité et de renouvellement urbain, de la contourner astucieusement, ou de ne pas accompagner les stratégies de rénovation d’une politique de peuplement imposant une réelle mixité sociale.
Celle-ci doit être présente dans tous les quartiers, jouant des typologies d’habitats liées aux ressources des foyers (PLAI, PLUS, PLS, baux réels solidaires...), des supposées contraintes exogènes aux enjeux (loi sur l’eau, zones à protéger, sites remarquables...), ou des complaisances de l’État local vis-à-vis de dysfonctionnements des conférences locales de l’habitat. À toute convention de rénovation urbaine doit être adossée une stratégie mutuelle de peuplement.
Nous avons la prétention et la capacité de ne pas nous résigner à l’impact désastreux de l’inflation et d’un chômage qui perdure pour nos habitants de plus en plus nombreux qui manquent de biens de première nécessité.
C’est à un État hardi de permettre l’éducation de la petite enfance et le déploiement de l’École républicaine, dotées de moyens structurels et pédagogiques suffisants.
Cela permettrait de renforcer sa mission éducative régalienne, de superposer les périmètres de la politique de la ville et de l’éducation prioritaire, de pourvoir de moyens décents l’enseignement, la lutte contre l’illettrisme et l’illectronisme, l’apprentissage et la formation professionnelle publics.
Cela lui permettrait également de développer des stratégies de lutte contre la discrimination à l’embauche, d’exiger des entreprises qu’il soutient (ou attributaires de marchés publics) de vraies contreparties évaluables en offres pérennes d’emplois, et de créer des centaines de milliers d’emplois intégratifs aidés publics et associatifs pour offrir des parcours d’insertion aux populations les plus en rupture.
Nous revendiquons la volonté et l’aptitude à faire, qu’au- delà de l’École et de la formation, soit garantie à nos enfants la promesse de l’égalité républicaine qui pourra faire d’eux des adultes accomplis trouvant leur place sociale et citoyenne.
C’est à un État intrépide de permettre aux jeunes et aux adultes l’accès aux loisirs éducatifs, aux sports, à la culture et aux expériences de vie émancipatrices.
C’est à un État résolu de mobiliser dans nos quartiers les moments forts de la Nation, qui constituent un terreau sur lequel les initiatives peuvent fructifier pour nos habitants. Ainsi peut-il en être du concept des Cités olympiques, du volet sport des contrats de ville ou du volet territorial de l’héritage de Paris 2024. À l’instar des Cités éducatives, c’est un projet sportif de territoire reposant sur un écosystème d’acteurs (villes, Éducation nationale, jeunesse et sport, clubs et fédérations sportives) qui favorise le continuum sportif dans et hors l’école.
Celui-ci repose sur plusieurs piliers tels que l’urbanité sportive, le rattrapage de la carence en matière d’équipements publics, formations, compétences, emplois, nouvelles économies du sport...
Il s’agit de se donner les moyens et la méthode pour le droit au sport pour toutes et tous.
Nous entendons et sommes à même de voir nos résidents libérés de la peur de l’insécurité au quotidien : crainte de ne pouvoir subvenir aux besoins premiers du foyer, délinquance, intégrismes...
C’est à un État déterminé de répondre par l’insertion sociale et professionnelle assurant par la dignité la meilleure prévention des déviances, mais aussi par la prévention spécialisée qu’il doit assumer si les collectivités compétentes la négligent. C’est par un engagement permanent de terrain des moyens régaliens renforcés de la tranquillité publique, de la sécurité, de la sûreté, du renseignement, de l’investigation, de la justice, de la protection judiciaire et de la probation, que l’État affirmera, par ces solutions pertinentes, sa réponse aux anathèmes jetés et aux envolées aussi simplistes et stigmatisantes qu’inopérantes.
Nous affirmons notre aspiration et notre faculté à ce que la santé de nos habitants cesse de se dégrader par la pauvreté, le manque de prévention et la désertification médicale. L’épidémie de coronavirus les a frappés massivement.
C’est à un État courageux d’agir avec force contre les fragilités des habitants, la désinformation, la fracture numérique, le déremboursement des tests de dépistage, les déficits de présence médicale et de mobilités, les inégalités en matière de santé environnementale, qui les mènent contre leur gré à former le gros de la horde des non-vaccinés désignés à la vindicte d’un sévère et injuste doigt gouvernemental.
Nous avons l’objectif et le pouvoir d’assurer le ruissellement, partout, de la vitale transition écologique.
C’est à un État résolu d’impulser et d’assurer la rénovation durable de nos habitats et les moyens d’accès aux énergies renouvelables pour nos populations.
C’est à lui d’assurer l’accès aux produits alimentaires de qualité pour nos habitants résignés à la malbouffe, et de déployer des stratégies de dessertes, par des transports en commun écologiques, les incitations et aides à l’usage des modes doux de déplacement.
Enfin, c’est à lui de prendre en charge la création ou la rénovation d’espaces naturels de proximité.
C’est à un État volontaire de retisser les liens entre nous et le monde rural, montagnard et littoral, afin que les situations économiques de nos résidents ne soient plus un obstacle à l’accès aux produits de l’agriculture saine et aux bouffées de bon air.
Fin du monde, fin du mois n’a jamais été autant une réalité. C’est à un État opiniâtre de promouvoir une écologie populaire, tant en matière d’énergie (chauffage, eau, électricité, mobilités) que d’alimentation, par le truchement d’un volet de transition écologique et sociale au cœur des contractualisations et la mobilisation de l’ADEME et de l’Office Français de la Biodiversité.
Nous désirons et pouvons parvenir à la reconquête de l’exercice de la vie citoyenne et démocratique.
C’est à un État tenace de soutenir dans la durée les espaces, temps et stratégies d’apprentissage et d’exercice de la vie citoyenne. Les habitants peuvent et doivent être acteurs du devenir de leurs espaces de vie. Leur rôle, leur parole, leurs initiatives doivent être confortés pour garantir leur prise en compte dans les instances de décision au sein desquelles ils sont amenés à contribuer.
Les associations doivent être durablement prémunies contre la précarité. S’appuyant sur la redynamisation de ces tiers-espaces, la voie sera ouverte vers l’exercice reconquis de la vie démocratique, notamment celle de la participation aux échéances électorales qui rythment le calendrier d’une nation républicaine.
Nous voulons et pouvons en finir avec la dégradation accélérée des infrastructures qui fait pâtir de nos maux les autres quartiers de nos communes, intercommunalités et bassins de vie.
Nous sommes convaincus de la faisabilité d’un soutien affirmé de l’Europe et de l’État à nos villes et EPCI souvent exsangues, et aux services des autres collectivités et institutions publiques. Ces derniers doivent avoir l’obligation contrôlée d’engager leurs propres moyens de la politique de la ville, pour amortir les impacts croissants de l’altération sociale, économique et environnementale. Un doublement assumé des moyens financiers de la rénovation urbaine et des mesures d’accompagnement social est un objectif de raison.
NOUS, TERRITOIRES JEUNES ET POPULAIRES, AFFIRMONS ÊTRE PORTEURS D’ESPOIR POUR NOUS-MÊMES ET POUR TOUTE LA NATION
Nous sommes certains de pouvoir mettre un terme aux réalités indignes du XXIe siècle qui affectent la nation affichant le 5ème PIB du monde, et ce, malgré cette crise qui nous assigne à l’enfermement, la relégation, la ségrégation, la stigmatisation aggravée par les images et représentations que distillent des médias sur nos habitants et nos cadres de vie.
Oui, le pays a besoin de nous, les quartiers jeunes et populaires. Et nous avons besoin de lui.
Nous, territoires urbains, ruraux, économiquement dévastés ou géographiquement relégués, sommes l’une des clés d’un nouveau contrat social républicain. Ces territoires doivent donc se voir dotés des moyens partagés de la solidarité nationale, pour assurer à tous leurs habitants Égalité, Liberté et Fraternité.
Puisse notre harangue à la Nation trouver écho et susciter
de nouvelles perspectives pour les quartiers populaires.
Signé : L’Association des Maires Ville & Banlieue de France (AMVBF)
p.c.c. les 1514 quartiers populaires, petits et grands ensembles d’habitat social et cœurs de villes,
des banlieues des grandes aires urbaines et des petites et moyennes communes, de la métropole et des outremers.
Lyon, le 9 mars 2022