Que de discussions autour de ce premier Forum national des conseils citoyens réuni le 27 octobre à la Cité des sciences à La Villette à Paris ?
L’événement avait essuyé toutes les critiques avant d’avoir eu lieu. « Convocation prématurée d’instances n’ayant pas encore eu le temps de produire quoi que ce soit dans les quartiers », « opération de communication politique » montée à la hâte avant la période de réserve ministérielle, « cérémonie d’auto-congratulation » n’intéressant que peu les habitants des quartiers…
Au terme d’un cycle de rencontres territoriales ayant mobilisé près de 20 000 personnes, mille participants avaient répondu à l’appel du Forum, membres des 850 conseils citoyens pour une très large part. Pour un moment de vérité, au-delà de toute volonté d’exploitation ou de récupération politique, quelques-uns des messages les plus forts entendus au cours de cette très riche journée.
Des besoins confirmés de formation et de co-formation
Une évidence et ce n’est pas un hasard si la secrétaire d’État à la ville, Hélène Geoffroy a choisi d’y consacrer 5 millions d’euros, sans compter le budget alloué à l’École de la rénovation urbaine « les conseils citoyens ont besoin d’être accompagnés, formés, qualifiés pour remplir leur mission ». Au cours de l’atelier dédié à cette question comme au fil de la journée, les représentants des conseils citoyens n’ont cessé de le clamer et de le réclamer. Que veulent-ils savoir et savoir faire pour jouer pleinement leur rôle ? D’abord comprendre le contexte et qui fait quoi, intégrer les bases de la culture « politique de la ville », les institutions, les dispositifs, les procédures, le droit, l’étendue de leurs droits et de leurs devoirs. Ils veulent aussi apprendre à travailler pour les quartiers dans lesquels ils sont implantés : savoir mobiliser les habitants et aller à leur rencontre, s’organiser, animer, agir, communiquer de façon autonome, faire remonter les attentes et participer à la décision de façon efficace. Ils veulent enfin apprendre à tenir leur place durablement dans les communes et les agglomérations, aux côtés des professionnels et des élus pour faire progresser la cohésion et le bien-vivre ensemble.
Un besoin de valorisation positive et de bienveillance
Le ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, Patrick Kanner, l’avait rappelé en ouverture de la journée : il ne s’agit pas de se dissimuler l’ampleur ou la gravité des difficultés qui peuvent affecter les QPV. Mais il ne s’agit pas non plus de ne les voir que comme « des quartiers à problèmes » sans plus être capables d’identifier leurs ressources et leurs richesses. « Vous êtes une partie de la solution », a ainsi rappelé en écho Mohamed Mechmache aux participants ; lesquels ont aussi rappelé -dans l’atelier consacré à la réussite éducative par exemple- l’importance de « valoriser les réussites, mettre en lumière le côté positif des initiatives et des personnes »… « porter sur le devant de la scène les compétences, les qualités et les actes positifs des jeunes des quartiers ».
Enfin, la bienveillance n’a pas été uniquement convoquée en matière éducative : l’exigence de bienveillance est universelle, a rappelé Estelle Grelier, secrétaire d’État chargée des collectivités territoriales, « parmi les habitants comme parmi les élus… car bien des villes qui développent des initiatives citoyennes voudraient que cela se sache et soit porté à leur crédit ».
Un jeu de reconnaissance indispensable
En fin de compte, les conseils citoyens jettent un coup de projecteur très révélateur sur le déficit de confiance existant dans les quartiers de la politique de la ville : confiance à l’égard des institution, des élus, confiance dans les politiques et dispositifs proposés, confiance dans ceux que l’on perçoit comme autres, confiance en soi. Dans l’atelier consacré aux pouvoirs des conseils citoyens, les participants ont eu du mal à définir très précisément leur rôle. « Notre rôle revient toujours à essayer de porter la parole des habitants », ont-ils ainsi résumé, sans chercher à dissimuler que deux conditions doivent être réunies pour y parvenir : d’une part, que le conseil citoyen se fasse reconnaître, accepter et légitimer par les habitants ; d’autre part, qu’il parvienne lui-même à se faire reconnaître et entendre des techniciens de l’État ou de la collectivité, ainsi que des élus locaux. De part en part, les conseils citoyens offrent donc aux différents acteurs -pour peu qu’ils apprennent à s’en saisir- un levier de reconnaissance réciproque leur permettant de reprendre confiance, de coopérer et d’agir ensemble pour le bien commun. Car comme le rappelait encore Ségolène Neuville, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion -elle-même à l’initiative d’ « un kit de la participation » à l’usage des travailleurs sociaux- il faut toujours trouver avec les bénéficiaires supposés de l’action publique « un consensus sur ce que l’on veut faire ».
Un indéniable moment de vérité
Que retenir de cette journée sinon que plus de 800 conseils citoyens ont pu témoigner, partager et confronter leurs expériences, débattre sans faux semblants ? Sous certaines conditions de sincérité et de liberté, l’exercice produit toujours des résultats. Dans les ateliers comme en plénière, la parole a circulé jusqu’au bout. Le Président s’est vu interpeller sans animosité excessive mais sans détours, par des citoyens heureux et fiers d’être enfin pris au sérieux. Cela ne fournit aucune garantie à moyen terme, dans un calendrier désormais polarisé par l’élection présidentielle. Mais cela peut allumer une flamme, rendre son prix à la démocratie aux yeux de ceux qui n’y voyaient plus qu’un jeu de dupes, alimenter chez eux, qui sait, le désir de saisir cette chance… au-delà de toute volonté d’exploitation ou de récupération politique. Ce qui ne serait pas rien en ces temps de populisme et de scepticisme débridés.