La France est une idée. Une « communauté de rêve » fragile et intangible qui serait aujourd’hui mise à mal par la tentation communautariste. Une menace de l’entre-soi qui, réelle ou fantasmée, freine considérablement élus locaux et responsables politiques lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre des procédés de démocratie participative.
Ainsi les conseils citoyens, pourtant prévus depuis février 2014 par la loi Lamy relative à la programmation pour la ville et la cohésion urbaine, peinent-ils parfois à fonctionner dans les QPV (Quartiers Politique de la Ville) et ce malgré leur caractère obligatoire. Or, un tel conseil peut favoriser le sentiment d’appartenance puisque la loi dispose que ses membres soient impliqués dans l’élaboration et l’évaluation du contrat de ville conclu entre la municipalité et l’État.
Au printemps 2017, une circulaire ministérielle est venue préciser les conditions de fonctionnement de ces conseils citoyens et y a intégré des éléments de la loi Égalité & Citoyenneté, votée en janvier 2017.
Le conseil citoyen de la cité Fabien à Bonneuil-sur-Marne parvient à garder le cap depuis sa création en 2015 et fait figure de modèle en la matière.
Pourquoi ?
Dès 2004, la municipalité a fait le choix d’intégrer les Bonneuillois dans les différents projets de rénovation de leur cadre de vie. En 2010, la convention signée avec l’ANRU 1 ne concerne que très partiellement la cité Fabien : seule la démolition des 160 logements dit des Toits plats est alors intégrée à la convention. Les 1 300 habitants de ce quartier attendent depuis 25 ans un projet ambitieux et global de requalification de leur lieu de vie. Lorsqu’en 2014 la cité Fabien est retenue Quartier Politique de la Ville, le conseil citoyen est rapidement mis en œuvre afin que ses membres participent à l’élaboration des dossiers qui doivent être proposés à l’ANRU 2.
Ce conseil, une assemblée locale octroyée d’en haut mais indépendante du pouvoir politique, rencontre le succès auprès des habitants qui jouent alors le jeu et réfléchissent à leurs besoins et aux enjeux urbains à venir : démolition, résidentialisation, réhabilitation, isolation, création d’une maison de santé, tracé des voies, espaces verts ou encore stationnement souterrain.
Comment ?
Les règles du jeu sont précisées par la loi Lamy : le conseil citoyen est une instance indépendante des pouvoirs publics. Totalement autonome, aucun élu ne peut le présider ni l’animer. Son action doit s’inscrire dans le respect des valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité, de laïcité et de neutralité qui sont celles de la République.
La composition du conseil doit être paritaire et se fait sur la base du volontariat et grâce au tirage au sort. Un tirage effectué parmi les inscrits sur les listes électorales, mais aussi sur les fichiers des organismes HLM et le répertoire d’immeubles localisés (RIL) utilisé par l’Insee dans le cadre du recensement. Ce qui permet de n’exclure, potentiellement, aucun habitant des lieux.
Une fois constitué puis validé par arrêté préfectoral, le conseil citoyen élabore une charte selon le cadre fixé par le contrat de ville et dans laquelle ses attributions et son mode de fonctionnement sont explicités. A Bonneuil-sur-Marne, la Maison des Jeunes et de la Culture assure le portage du conseil, ce qui lui permet de bénéficier notamment d’une structure juridique.
Les membres du conseil citoyen de la cité Fabien ont rencontré les habitants de leur quartier : à la sortie de l’école, dans les commerces, sur les pas de porte. Un travail patient et minutieux qui a permis de recueillir les avis des intéressés quant au renouvellement de l’espace urbain. Fraîchement arrivés ou habitants de la cité depuis les années 1970, nombreux sont ceux qui souhaitent rester sur place et participer à l’évolution de leur quartier.
Quel bilan ?
Slavio Peric, l’un des membres du conseil citoyen transmet l’énergie de cette instance : « Nous fourmillons d’idées. Nous avons cette fierté de représenter tous les habitants de la cité. Notre objectif est de recueillir la parole de tous et de la transmettre aux partenaires du projet qui, de plus en plus, vont nous solliciter. Dans ce sens, nous nous formons, nous rencontrons les autres conseils citoyens du territoire et nous rendons des comptes aux institutions. »
Un dynamisme et un sérieux qui ont payé à Bonneuil-sur-Marne, puisque le projet de renouvellement urbain vient d’être validé en mai par l’ANRU 2. Le samedi 17 juin, Patrick Douet, le maire de Bonneuil-sur-Marne, a eu le plaisir de présenter en avant première aux membres du conseil citoyen les grands axes du projet retenu.
Si le montant qui sera alloué est encore inconnu et tributaire d’études complémentaires réclamées par l’ANRU, des dérogations exceptionnelles ont d’ores et déjà été obtenues : autorisation de démolition en amont des bâtiments Brassens, trop vétustes pour être réhabilités et réhabilitation énergétique des tours Jaurès, emblématiques du lieu et construction de 60 logements sociaux.
Les Bonneuillois restent acteurs du projet et participeront aux consultations et travaux préparatoires qui vont se dérouler durant les 18 mois à venir et qui feront intervenir architectes et urbanistes, afin que la cité Fabien trouve toute sa place dans la métropole du Grand Paris.
Aujourd’hui, le conseil citoyen de Bonneuil-sur-Marne rêve à sa ville de demain et propose la création, dans le cadre d’un chantier-école, de « jardins et vergers partagés qui seront des endroits de convivialité et d’activités pédagogiques. »
Le projet en photos
Interview de Patrick Douet, maire de Bonneuil-sur-Marne
A l’exception de l’élaboration d’un jury d’Assises, le tirage au sort n’est pas utilisé dans les institutions françaises. Selon la loi de février 2014, le recrutement d’une partie des membres d’un conseil citoyen doit se fait par tirage au sort et sans le prérequis d’une inscription sur les listes électorales. Pensez-vous que cette pratique puisse améliorer le sentiment des individus qui se sentent, pour certains, oubliés de la République et ramener les électeurs vers les urnes ?
Je crois que cela répondait à un souci exprimé par un grand nombre d’acteurs de la Politique de la Ville dans le cadre de la concertation engagée par le ministre de l’époque Monsieur Lamy, constatant que, d’une manière générale, les habitants des quartiers concernés étaient trop peu associés en amont des projets. Cela tient notamment à ce que, dans un certain nombre d’endroits, le mouvement de défense des locataires n’est pas organisé ou lorsqu’il l’est, il est souvent insuffisamment représentatif de leur diversité.
À Bonneuil-sur-Marne nous n’étions pas vraiment dans cette situation, car nous avons des amicales de locataires actives dans tous les quartiers et que, au-delà de la concertation avec ces amicales, les démolitions déjà opérées ont fait l’objet de référendums. Ainsi dans le quartier Fabien où nous avons dû mettre en place le conseil citoyen, une démolition était concernée par le cadre du premier PRU (Projet de Rénovation Urbaine), ce qui représentait 160 logements. L’ensemble des habitants du quartier votait, mais nous avons tenu à identifier dans un bureau spécifique ceux des immeubles à démolir. Ils ont voté à 80% pour la démolition avec une participation de 70%.
Le tirage au sort n’est pas la solution miracle qui recréera de la citoyenneté, c’est plutôt un ensemble de pratiques respectueuses des suggestions et des avis des habitants, une sorte de co-décision les associant à toutes les étapes importantes.
Malheureusement, les politiques nationales diminuent les moyens consacrés au lien social dans les quartiers et les moyens des collectivités, tout en tournant le dos aux engagements initiaux. Ces carences, associées au manque de visibilité des perspectives de changements radicaux (qui iraient notamment dans le sens des intérêts des populations les plus touchées par la crise), créent le phénomène de l’abstention. Malgré les nombreuses pratiques démocratiques qui existent à Bonneuil-sur-Marne et qui relèvent de choix municipaux, notre population s’est beaucoup abstenue lors des dernières élections législatives.
Quelles étaient vos réticences avant la mise en place de ce conseil citoyen ? Quelles sont à présent les relations entre les élus bonneuillois et les membres du conseil citoyen ?
Pour ce qui me concerne, je souhaitais faire en sorte que le conseil citoyen apporte de la valeur ajoutée et ne soit pas un contournement de l’association représentative des locataires. Celle-ci est représentée au conseil citoyen au titre du collège associatif et elle a choisi de l’être par sa présidente. Elle y joue un rôle actif et c’est assez naturellement que le conseil citoyen l’a désignée pour être l’une de ses deux représentantes qui m’ont accompagné lorsque j’ai présenté notre projet de rénovation urbaine au Comité National d’Engagement de l’ANRU.
Nos rapports avec le conseil citoyen sont constructifs et bons. Contrairement à d’autres communes, nous n’avions pas attendu la parution du décret pour sensibiliser à la constitution future du conseil citoyen, lancer un appel à volontariat et solliciter les associations. Aussi, lorsque l’État a donné le feu vert, avons-nous immédiatement procédé au tirage au sort qui s’est substitué au dispositif de préfiguration, puis validé le projet d’arrêté au conseil municipal, si bien que le conseil citoyen de Fabien à Bonneuil-sur-Marne a été un des tous premiers mis en place, sans doute le premier en Île-de-France au point qu’une radio nationale en a fait son sujet de reportage le jour anniversaire de la loi Lamy.
Le conseil a-t-il permis de créer une dynamique globale dans le quartier ? Quelle a été la réception du projet (tout récemment validé par l’ANRU) dans le quartier ?
Au-delà de l’aspect de la rénovation urbaine qui est sa préoccupation première, le conseil citoyen apporte du dynamisme ; par exemple l’an dernier lorsque nous avons fêté les 60 ans du quartier ou encore cette année avec le lancement du projet de jardin partagé.
Le 17 juin dernier, une réunion de concertation s’est tenue avec de nombreux habitants dans le cadre de l’autorisation donnée par l’ANRU d’engager de manière anticipée la démolition de deux barres d’immeubles très dégradées. Nous ne nous sommes pas contentés de leur parler de cette démolition. Nous l’avons réinscrite dans la perspective du projet global de la ville et dans celui du quartier.
Je crois que les habitants sont finalement rassurés par le fait qu’il y aura de longs mois d’études et qu’ils y seront associés. Nous avons aussi mis cartes sur table quant à ce que nous avions demandé à l’ANRU. Les aspects sur lesquels nous avons été entendus, ceux où nous l’avons moins été. Nous souhaitons par exemple que l’essentiel de la reconstitution se fasse dans la ville, voire près de la cité, elle-même très proche du centre-ville et à laquelle ses habitants sont attachés. J’ai expliqué comment j’ai plaidé auprès du Comité National d’Engagement (CNE) pour le « droit à la ville pour tous. » Je vois que cette transparence est appréciée par la population concernée. Comme je leur ai dit lors de cette réunion, il n’y a rien sous le tapis. En tout cas s’il y avait quelque chose, cela ne viendrait pas de moi et le tapis, nous le soulèverions ensemble !
- Commune : Bonneuil-sur-Marne
- Département : Val-de-Marne (94)
- Région : Ile-de-France
- Population : 19 940 habitants
- Maire : Patrice Douet (Parti Communiste Français)
- Site internet : www.ville-bonneuil.fr
- 208 logements thermiquement réhabilités dans les tours Jaurès (démarrage en 2018)
- 278 logements en accession sociale
- 18 mois d’études préparatoires en collaboration avec les instances citoyennes