Enfants de banlieue, enfants de centre-ville. Une enquête de l’Association étudiante pour la ville

L’Association de la Fondation étudiante pour la ville vient de rendre publics les résultats d’une enquête comparative réalisée en mai et juin 2014 auprès de 633 enfants de CM1 et CM2, pour moitié enfants de zones d’éducation prioritaire, pour l’autre enfants de centre-ville.

Cette étude – réalisée par le cabinet Trajectoires – qui zoome successivement sur l’organisation familiale en lien avec les exigences scolaires, les pratiques de temps libre, le soutien familial pour le travail scolaire et le vécu scolaire des enfants, révèle peu de surprises. Mais si les enfants de REP paraissent globalement pénalisés par leur situation familiale et sociale quant à la réussite scolaire et l’accès à la culture, entre 10 et 20% d’entre eux (selon les sujets) paraissent dans une situation de très grande vulnérabilité.
Relevé des grandes tendances révélées par l’étude et arrêt sur l’image des inégalités les plus préoccupantes.

Les enfants de REP peuvent beaucoup moins compter sur leur famille pour s’ouvrir au monde

Leur famille est moins que les autres le lieu privilégié de mise en lien avec les ressources culturelles extérieures. Les enfants sont moins mobiles, ils partent moins en vacances et en week-end. Lorsqu’ils partent, ils découvrent moins souvent des lieux différents. Ils profitent également moins que les autres de sorties culturelles dans la ville, ou des activités encadrées qui peuvent y être proposées, qu’elles soient sportives ou culturelles. Il y a moins de livres chez eux, et surtout, ils lisent moins que les autres. Ainsi, les apports extérieurs, aussi importants soient-ils, ne suffisent pas à compenser, pour les enfants des secteurs de l’éducation prioritaire, les ressources familiales moindres en termes d’ouverture culturelle.
Ces écarts influencent fortement la trajectoire scolaire des enfants et leurs capacités à comprendre et acquérir les savoirs scolaires transmis. Ainsi les enfants qui ont l’habitude de partir le week-end participent plus facilement en classe (76% contre 59%) et ils comprennent plus souvent ce qu’il leur est demandé de faire en classe (77% contre 65%). Les enfants qui ont l’habitude de lire le soir avant de s’endormir comprennent également mieux ce que l’enseignant leur demande en classe (81% contre 63%), de même que ceux qui pratiquent un sport (78% contre 66%) ou une activité artistique encadrée (81% contre 69%).
Enfin, parmi les enfants des quartiers prioritaires interrogés qui ne forment pas un ensemble homogène, l’enquête révèle que 10% à 20% d’entre eux semblent dans un état de dénuement culturel particulièrement important. 12% disent ne jamais partir en vacances, autour de 9% déclarent n’être jamais allés à un spectacle, dans un musée ou au centre-ville, 19% n’avoir pas du tout de livre à la maison, 20% n’avoir jamais reçu de livre en cadeau.

Les familles des quartiers prioritaires moins bien armées pour répondre aux exigences scolaires

Il y a de fortes inégalités de rythme et de mode de vie entre les familles, notamment sur deux points clés : la durée du temps de sommeil des enfants et leur alimentation le matin avant de partir à l’école. Les enfants scolarisés en secteur d’éducation prioritaire dorment moins que les autres et s’alimentent moins systématiquement le matin avant la journée scolaire, ce qui ne peut que les rendre moins réceptifs aux apprentissages. L’enquête montre aussi que plus les enfants se couchent tard, plus ils s’ennuient à l’école : 35% des enfants interrogés qui se couchent après 22h disent s’ennuyer tout le temps ou souvent, contre 14% seulement de ceux qui se couchent au plus tard vers 21h. L’autorisation de l’usage des écrans le soir après le dîner explique en partie le fait qu’une partie des enfants se couchent tard, en particulier pour ceux qui ont une télévision dans leur chambre (63 % des élèves de REP contre 27,5 parmi les autres). Ce qui laisse présager une forte corrélation entre ces modes de vie et l’exposition au décrochage scolaire.
L’analyse des pratiques familiales à la maison par rapport aux exigences scolaires montre également que le travail scolaire au domicile est particulièrement discriminant. Les enfants scolarisés en secteur d’éducation prioritaire peuvent beaucoup moins que les autres compter sur l’aide de leurs parents dans la réalisation de leurs devoirs ou s’ils n’ont pas compris un exercice ou une leçon (13 points de moins en moyenne selon les questions posées).
Là encore, 10% à 20% d’entre eux sont encore plus en décalage avec les exigences scolaires : 15% se couchent après 23h en CM1 / CM2, 13% ne prennent jamais de petit-déjeuner le matin avant de partir à l’école et 13% disent n’être jamais aidés par quelqu’un lorsqu’ils ne comprennent pas une leçon ou un exercice scolaire.

Des vécus comparables, masquant de redoutables inégalités

Au-delà de ces différences, les enfants disent aimer l’école dans les mêmes proportions, subir sensiblement le même niveau de violences verbales ou physiques et se sentir à peu près égaux devant la réussite ou le devenir scolaire.
Ce constat est d’autant plus paradoxal que globalement, les enfants des secteurs d’éducation prioritaire sont deux fois plus nombreux à déclarer s’ennuyer à l’école (29 contre 15%), avouer ne pas comprendre ce qui leur est demandé (37% contre 17%).
Ainsi les différences importantes entre les familles des secteurs de l’éducation prioritaire et les autres, ne semblent a priori pas influencer fortement la manière dont les enfants vivent l’école élémentaire au quotidien. Ceux-ci témoignent même d’une vision optimiste de leur avenir au collège, où ils pensent plus que les autres enfants qu’ils réussiront. A l’heure où l’on évoque la beaucoup la souffrance à l’école, les risques de décrochage et la nécessité de la bienveillance éducative, l’école élémentaire ne semble pas être encore le lieu d’un vécu douloureux et humiliant pour la plus grande partie de ces enfants pourtant les moins armés pour y réussir.
L’optimisme des enfants ne doit pourtant pas rassurer outre mesure, car les risques de décrochage existent dès l’école primaire. Les inégalités sont à l’œuvre : les élèves ayant effectué leur CM2 dans l’éducation prioritaire sont presque deux fois plus souvent en retard que les autres (respectivement 19% contre 10,9 %). Elles ne feront que s’accroître au fil de la scolarité. Et la question posée reste brutale : comment (ou dans quelles conditions) l’école peut-elle compenser ces inégalités familiales et sociales, et donner des chances égales aux 10 à 20% d’enfants les moins favorisés de réussir leur parcours scolaire et social ?

 

  Enquête Pratiques familiales et réussite éducative


 

 

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