Voté le 23 juillet 2014, le volet « Compétences » de la réforme territoriale doit revenir devant le Parlement dans les prochaines semaines. Qui plus est, la controverse ouverte sur le nombre et le périmètre des futures régions n’est pas près de s’éteindre, tant les raisons et les passions sont nombreuses et diverses sur le sujet.
En attendant les derniers amendements au projet de loi, Laurent Davezies, économiste, cosigne avec Thierry Pech, directeur général du think thank Terra Nova, une note sur la question territoriale qui éclaire d’un jour nouveau les enjeux de la réforme en cours.
Souscrivant aux objectifs avancés de la réforme, ces deux auteurs proposent pour rendre l’action publique plus efficace de « favoriser certains équilibres entre les territoires, à commencer par l’équilibre entre performance économique et solidarité ». Cette exigence s’appuie sur un phénomène notable : les disparités de PIB/habitant entre les territoires régionaux progressent fortement alors que les mécanismes de réduction des inégalités de revenu/habitant entre les territoires sont en train de s’interrompre. Pour ces auteurs, « la carte administrative de la République ne peut rester insensible à la nouvelle géographie des inégalités. »
Géographiquement parlant, les inégalités de PIB/habitant entre les régions proviennent de la redistribution spatiale des lieux de création de valeur et du déclin des régions industrielles, au profit des « régions métropolitaines », offrant le meilleur terrain au développement de la nouvelle économie de l’informatique, de l’information et de l’immatériel. Au total -et pour toutes sortes de raisons ajoutées que l’article recense de façon précise et convaincante- une demi-douzaine de territoires gagnants : l’Ile-de-France et les aires urbaines de Lyon, Toulouse, Nantes, Rennes et Bordeaux. Avec 3 autres régions urbaines en forte croissance à cause de leur attractivité résidentielle mais non de leur développement productif : autour de Montpellier, Toulon et Nice.
Là où le bât blesse, selon les auteurs, c’est que les mécanismes de redistribution qui venaient jusqu’alors compenser ou équilibrer ces inégalités de croissance au bénéfice des territoires « périphériques » seraient en train de s’épuiser : en raison de la réduction des dépenses publiques, de la réduction des flux non marchands et de l’appauvrissement de la population dans ces territoires. Dès lors, les seuls facteurs d’équilibre sont à attendre des dépenses de tourisme et des retraites des ménages les plus favorisés et les plus mobiles. Mais ces atouts ne joueront eux-mêmes que dans les régions dotées d’avantages résidentiels. Et l’analyse montre que les régions urbaines les plus dynamiques sont précisément celles qui combinent en « un système productivo-résidentiel » (SPR) vertueux, les facteurs urbains et humains de la nouvelle économie, avec les atouts de la qualité de vie résidentielle et de l’environnement le mieux préservé.
Que faut-il donc craindre pour l’avenir ? Aucune catastrophe générale et massive, affirment les auteurs, puisque 80 % des Français vivent un SPR économiquement viable. Mais un décrochage redoutable et prévisible des 20% restants du territoire, globalement situés dans le nord-est et la « diagonale aride » de l’hexagone.
Au passage -parce que ce n’est pas son objet- l’article se veut moins alarmiste sur le devenir des périphéries urbaines et des quartiers où, disent les auteurs, l’accroissement des inégalités serait d’abord imputable à la mobilité résidentielle et à la spécialisation de certains quartiers dans l’accueil de la pauvreté, donc dans la concentration urbaine durable des difficultés.
Face à ces constats, les auteurs en appellent – pour une réforme territoriale à la hauteur des vrais enjeux de l’avenir – à « créer des acteurs publics à la bonne échelle pour prendre en charge qui, des missions de cohésion, qui des mission de soutien ou d’accompagnement économique ». Un nouveau compromis entre « ce qui est dû à l’égalité des territoires pour éviter que les moins productifs et les moins attractifs ne soient durablement délaissés, et le surcroît d’autonomie qu’il faut accorder à ceux qui sont déjà aujourd’hui les principaux moteurs de la croissance pour qu’ils poursuivent leur route et créent les emplois dont nous avons besoin. » Sans oublier la rénovation de notre système démocratique pour que les agglomérations, les métropoles, le Sénat lui-même, soient en mesure de les représenter correctement et de faire vivre de façon féconde, au-delà de l’actuelle réforme, l’indispensable débat sur l’aménagement et les politiques territoriales.
Lien :
http://www.tnova.fr/note/la-nouvelle-question-territoriale