Un premier état des lieux des ZSP
(Zones de Sécurité Prioritaires)
Le 12 février 2014
En moins de quinze jours, les zones de sécurité prioritaires auront fait l’objet de déclarations, commentaires et prises de position qui permettent non seulement de relever quelques grandes tendances, mais aussi de poser quelques questions fortes à leur propos.
Un bilan positif ? C’est en tout cas l’avis de Christian Lambert, préfet chargé de leur évaluation au ministère de l’Intérieur, auditionné le 29 janvier dernier par la mission parlementaire sur la lutte contre l’insécurité dans les territoires. Il appuie son propos sur quatre arguments :
- L’efficacité des résultats : « La tendance est très favorable », a-t-il notamment déclaré aux membres de la commission. Le ministre lui-même s’est félicité d’un gros travail accompli dans la lutte contre la drogue, qui concerne presque toutes les ZSP. Pour ce qui est des vols avec violence, ils ont reculé de 3,7% dans les 24 ZSP qui ont décidé d’en faire une priorité. Les cambriolages ont baissé de 2,5% dans les 19 ZSP qui en ont fait un objectif prioritaire. Enfin, les violences urbaines ont reculé de 29,2 % dans les 23 ZSP concernées. Tandis que de son côté, la responsable de la Police judiciaire affirmait vouloir intensifier encore l’action de ses services dans les ZSP, dénonçant un grand sentiment d’insécurité, des phénomènes de caïdat, des réseaux et des trafics organisés…
- L’adaptation au terrain et la souplesse du dispositif : Le dispositif n’est « pas rigide » et « les ZSP sont un véritable laboratoire » ; elles reposent sur un « principe de proximité ». « Il n’y a pas une ZSP qui ressemble à une autre », a déclaré le préfet, soulignant aussi que tous les élus reconnaissaient ces qualités.
- Le sérieux du « diagnostic social » : loin d’être un simple dispositif de maintien ou de rétablissement de l’ordre public, les ZSP permettent de travailler en profondeur. Le « diagnostic social » auquel elles doivent donner lieu permet ainsi – grâce à des groupes d’analyse et de réflexion – d’apporter des réponses concrètes aux problématiques spécifiques des quartiers concernés : ici la prévention de la récidive, le décrochage et l’absentéisme au collège, là l’emploi, la formation et l’insertion professionnelle, ailleurs l’intégration, le renforcement de la parentalité, les stages de citoyenneté.
- La qualité des partenariats : au-delà de l’approche individualisée, c’est le partenariat qui permet d’obtenir des résultats. Un partenariat que n’ont pas inventé les ZSP – les PLS et autres CLSPD avaient le même objectif – mais qu’elles permettent de renforcer encore. Deux cellules existent en effet au sein de chaque ZSP. La première, co-présidée par le préfet et le procureur, rassemble toutes les forces de sécurité et facilite leur coopération opérationnelle. La seconde, dite « cellule de coopération opérationnelle de prévention » (CCOP), associe les élus, l’éducation, les bailleurs, les transporteurs, ou les acteurs de l’emploi… c’est-à-dire l’ensemble des responsables capables d’articuler une réponse publique globale aux problèmes d’insécurité. Pourtant c’est là le que le bât blesse encore.
Les maires encore trop peu associés ? C’est en tout cas ce que certaines associations d’élus (AMF, APVF) avaient fait valoir dès le 17 décembre 2013, au cours de leur propre audition par la commission. De son côté, Jean-Pierre Havrin, adjoint à la sécurité du maire de Toulouse, avait suggéré de fusionner les deux cellules afin que les maires puissent systématiquement y participer et y trouver une place « plus assurée dans le dispositif vis-à-vis de l’Etat », place qu’il juge aujourd’hui trop « faible et insuffisante ». En l’espèce, les maires ne peuvent accepter de n’être qu’à moitié associés à la politique de sécurité qui s’élabore sur leur territoire et ils demandent depuis longtemps qu’on leur fasse totalement confiance sur ce chapitre.
Des effets « report » sur les autres quartiers ? C’est en effet la crainte qu’expriment aujourd’hui beaucoup d’élus, et ce sous deux formes différentes mais convergentes. D’une part, comme le demandait le député UMP Philippe Goujon, co-rapporteur de la mission, ne risque-t-on pas de voir les moyens généraux de la police « siphonnés » par les ZSP au détriment des autres secteurs géographiques ? D’autre part, ainsi que le demandait de son coté le député socialiste Daniel Vaillant, ancien ministre de l’Intérieur, ne risque-t-on pas à concentrer trop exclusivement les moyens et les interventions, à ne faire que déplacer la délinquance en direction de zones moins surveillées ?
Ces deux questions ont reçu pour le moment une réponse négative du préfet Lambert qui s‘est voulu rassurant. Mais chacun est conscient qu’une grande vigilance s’impose sur ces deux fronts.
Comment articuler plus efficacement les interventions des deux polices, nationale et municipale ? S’il est annoncé que les sénateurs examineront cette année la proposition de loi de René Vandierendonck et François Pillet visant à créer des « polices territoriales » fusionnant dans un même cadre d’emploi agents de la police municipale et gardes champêtres, Jean-Pierre Havrin a fixé trois limites s’agissant de l’évolution des polices municipales : qu’elles ne fassent « pas de maintien de l’ordre », qu’on ne leur donne « pas de compétence judiciaire », et que la sécurité privée n’intervienne « pas sur la voie publique ».
Des positions qui suscitent elles-mêmes le débat mais contribuent à le poser. D’autant que les élus locaux sont unanimes à demander une clarification des compétences des forces de sécurité entre police, gendarmerie et police municipale… avec des précisions sur une éventuelle police d’agglomération.
Quel budget pour la prévention de la délinquance, en ZSP et hors ZSP ? Longtemps, les élus se sont plaints que la vidéo-protection accaparait une part trop importante de crédits du FIPD (Fonds interministériel de prévention de la délinquance) Cela a donné lieu à un certain rééquilibrage depuis lors. Rééquilibrage financier mais aussi politique puisque si la plupart des maires y ont recours – dans des proportions restant cependant très variables – il n’en est guère pour considérer qu’elle pourrait à elle seule, tenir lieu de politique de prévention.
Or les élus craignent aujourd’hui que les ZSP n’absorbent, hors vidéo-protection, les ¾ des crédits du fonds interministériel de prévention de la délinquance. Qu’en est-il exactement ?
Le FIPD est doté de 54,6 millions d’euros pour l’exercice budgétaire 2014. Selon le préfet Pierre N’Gahane qui en assume la responsabilité, le FIPD devra financer « de manière quasi exclusive » les trois programmes d’actions de la stratégie nationale de prévention de la délinquance validée par le Premier ministre le 4 juillet 2013 : actions à l’intention des jeunes, d’une part, prévention des violences faites aux femmes, violences intrafamiliales et aide aux victimes d’autre part ; et vidéo protection enfin. Selon nos informations, les deux premiers programmes se verraient consacrer environ 34 à 35 millions, et la vidéo protection 19 millions, soit environ 34,8% du budget total.
Par ailleurs, la circulaire indique effectivement que 75% des crédits des deux premiers volets, soit un peu plus de 26 millions d’euros, seront fléchés sur les 80 ZSP. Comment faire alors pour que ces ZSP n’assèchent pas le budget prévention des autres territoires ?
Dans ces conditions, une seule solution : l’augmentation du budget global. Et c’est bien ce qu’estime Jean-Pierre Blazy, député maire de Gonesse (95), président et rapporteur de la mission parlementaire sur la lutte contre l’insécurité dans les territoires, pour qui « il faudrait 100 millions d’euros pour répondre aux besoins de la prévention de la délinquance sur l’ensemble du territoire »… soit un quasi doublement du budget actuel de la prévention !