Une production autogérée par les citoyens, selon un modèle de contribution participative et bénévole, créatrice d’opportunités sociales voire professionnelles, et respectueuse de l’environnement… c’était là tout l’objectif du projet alimentaire de Grande Synthe, “ville nourricière”. Pour ce faire, et dans la continuité des jardins partagés précédemment déployés, l’Atelier, université populaire, et la mairie de la ville ont fait naître une nouvelle micro-ferme urbaine participative.
Pourquoi ?
Loin du mépris social et des fantasmes autour de l’assistanat en France, le projet alimentaire de Grande-Synthe préfère renouer avec les mécanismes d’entraide et de solidarité. Pour promouvoir la démocratie participative, l’autogestion et le collectif, les habitants du territoire s’emparent de la nouvelle micro-ferme urbaine, faisant de l’alimentation locale et durable une pierre dans l’édifice du vivre-ensemble. En plus de nourrir les habitants du quartier, et d’apporter des solutions adaptées aux enjeux du dérèglement climatique, les porteurs de ce projet ont placé leur confiance dans le versant pédagogique et démocratique de cette ferme.
Avec les jardins populaires et la nouvelle micro-ferme urbaine, chacun vient contribuer selon ses moyens et repart avec une production légumière adaptée à ses besoins. Le projet vise ainsi à rendre hommage à l’histoire populaire de la ville, marquée par les revendications ouvrières depuis son industrialisation, en mettant en œuvre la justice alimentaire et l’auto-appropriation des ressources locales par les habitants.
Comment ?
D’une part, pour être mis à bien, le projet a dû remporter une certaine adhésion populaire. Pour ce faire, les chargés de mission et les élus ont réalisé une enquête populaire et se sont déplacés directement à la rencontre de ces locaux – on parle de démarches “d’aller vers” les habitants”.
En termes de financement, en vue de permettre l’ouverture de la ferme en mars 2023, la fondation Carasso a soutenu le programme TETRAA (territoire en transition agro-écologique et alimentaire), dont la ville est lauréate avec huit autres territoires français. Ce programme permet un accompagnement en expertise et en financement, étalé sur cinq ans, lequel a aidé au déploiement de cette micro-ferme. Il a aussi facilité le recrutement d’un maraîcher animateur, ainsi que d’une chargée de mission agriculture et alimentation durable. Un financement supplémentaire de la part du conseil départemental du Nord a également été délivré.
Quel bilan ?
Après les jardins populaires, première réalisation du projet alimentaire, la ville a assisté au déploiement de la micro-ferme urbaine. Aujourd’hui, elle comptabilise une bonne trentaine de contributeurs réguliers. On estime l’objectif de production pour cette année à dix tonnes de légumes. À noter que l’année passée, le projet alimentaire de la ville a permis la production d’un surplus, acheminé par la suite aux associations d’aide alimentaire.
Et puisque pour les porteurs du projet, le bilan humain prime sur toute considération purement économique, ils se félicitent de ce qu’ils considèrent comme l’émergence du collectif et du bien commun à Grande-Synthe.
Le projet en photos
L’interview de Mme. Karima TOUIL, adjointe au maire, M. Julian Mierzejewski, chef de projet Education populaire – Transition écologique et sociale, et Mme Pauline DELAUTEL, chargée de mission démocratie et autonomie alimentaire.
1. Dans quel contexte a émergé l’idée de cette micro-ferme urbaine de Grande Synthe ?
M. Mierzejewski : En termes de contexte politique, nous souhaitions que ce projet soit un vecteur d’engagement. L’objectif est de renouer avec les solidarités et le collectif, qui font partie intégrante de l’ADN de Grande Synthe, dont l’histoire est marquée par l’autogestion et la montée du syndicalisme. Dans les années 1970, la ville se transforme en véritable cité ouvrière, accompagnée de revendications consubstantielles. La première majorité municipale ayant émergé suite à ces transformations a promu la nécessité pour les habitants d’accéder à un cadre de vie sain et verdoyant. Cette volonté fut déclinée au travers d’une politique d’aménagement d’espaces naturels, d’implantation d’arbres… jusqu’à la reconnaissance de ces espaces en tant que réserve naturelle régionale.
Mme Touil : Tout à fait, et donc au service “transition et éducation populaire”, nous sommes très attachés à la valorisation de l’écologie populaire : les politiques environnementales locales doivent absolument répondre aux aspirations et aux besoins fondamentaux des milieux populaires. Notre politique alimentaire constitue ainsi un levier central, s’inscrivant dans une politique plus globale de lutte contre le dérèglement climatique, de préservation de la santé du vivant.
M. Mierzejewski : Ces considérations ont débouché sur une réflexion autour de l’autonomie collective et de l’auto-organisation, et donc sur la mise en œuvre des jardins populaires partagés, dans un premier temps, puis des serres urbaines multiservices et de la micro-ferme urbaine de l’Atelier. Dans un contexte où la précarité alimentaire s’aggrave, la micro-ferme vient apporter une aide supplémentaire à la population, qui bénéficie de la production légumière mais aussi de la formation dispensée par le maraîcher. Cette aide s’avère d’autant plus utile que les participants manquent habituellement de ressources et de temps pour investir dans une parcelle de jardin ou, plus généralement, dans une alimentation de qualité.
2. Comment êtes-vous parvenus à mobiliser les bénévoles ?
Mme Touil : Ce levier alimentaire a été plébiscité par les habitants, grâce à sa plus-value sociale. Le projet s’est fait connaître localement, notamment au travers du bouche à oreille. Bien sûr, il est délicat de compter sur la spontanéité des habitants, surtout les plus précaires, qui ont parfois eu des expériences désagréables avec le service public, ou bien parce qu’ils sont accaparés au quotidien par leurs préoccupations matérielles. L’enjeu, pour les mobiliser, est de leur redonner foi dans le collectif.
Mme Delautel : Nous avons réalisé une enquête populaire grâce à laquelle nous avons pu directement recueillir les impressions des habitants. Celle-ci a duré un an et demi, entre février 2022 et mars 2023, et nous a permis d’identifier les besoins, les attentes, et les freins à l’alimentation durable pour les habitants des quartiers populaires. La microferme devient à son tour un terrain d’étude, favorisant les échanges avec les différents publics, loin des formalités rédhibitoires qu’impliqueraient des entretiens d’étude plus conventionnels.
M. Mierzejewski : Par ailleurs, la micro-ferme fonctionne selon des principes d’inclusivité : nous y accueillons toute bonne volonté. Nous répartissons ainsi les tâches de sorte à ce que chacun puisse contribuer selon ses moyens et recevoir de la nourriture selon ses besoins propres.
Mme Touil : Oui, il s’agit là d’un projet en mixité sociale. Les participants deviennent acteurs de l’aide alimentaire dont certains bénéficient eux-mêmes. L’objectif est la valorisation de systèmes d’entraide, et par conséquent la préservation de la dignité alimentaire des participants. J’insiste aussi sur la dimension pédagogique de notre ferme. Les parents emmènent leurs enfants, eux-mêmes parties prenantes du travail de la terre, de l’irrigation… Les jeunes et moins jeunes générations apprennent ainsi à s’approprier les outils de leur propre émancipation alimentaire.
Mme Delautel : Au sein de ces systèmes d’entraide, nous avons aussi à présent des groupes de cuisine, des ateliers de transformation des surplus, lesquels travaillent en lien avec la MAD (Maison de l’Alimentation Durable). Nous avons aussi une épicerie solidaire.
Mme Touil : Nous nous appuyons aussi énormément sur les savoir-faire des habitants. Par exemple, une partie de nos participants sont issus de l’immigration, et ont vécu dans des milieux de vie plus villageois par le passé. Certains ont ainsi toujours su préparer et conserver la graine, confectionner des repas communautaires… autant de ressources qui nous permettent de valoriser les compétences des bénévoles, et donc de les mobiliser d’autant plus.
M. Mierzejewski : Nous promouvons donc la souveraineté au sens propre du terme, à savoir la capacité d’auto-définir ses besoins, de façon durable et démocratique. N’importe qui peut participer à ce type de projets, tant qu’on y refuse l’exclusion et le mépris social. Alors, nous agissons peut-être sur un périmètre réduit, mais nous ne touchons qu’à des sujets qui traitent de besoins fondamentaux ! Nous estimons que l’aspect démocratique du projet en fait sa force. Nous cultivons certes l’autonomie matérielle des participants, mais aussi leur autonomie politique.
Mme Delautel : En effet, concrètement, chacun peut prendre part aux décisions qui régissent ce nouveau système alimentaire. Le collectif détermine ensemble les prochaines semences à planter, l’organisation du travail, l’utilisation faite des récoltes… toujours selon un système de prise de décision participatif, et non représentatif.
3. Où en êtes-vous en termes de bilan et d’objectifs pour ce projet de micro-ferme ?
Mme Touil : Notre bilan ne s’estime pas en termes de rentabilité. La plus-value défendue est une plus-value humaine, on fait de l’économie à finalité sociale et écologique. Nous mesurons le bien que cette autonomisation alimentaire procure aux gens. En résulte un constat principal, celui de l’urgence véritable de sortir des logiques économiques, au profit de la refonte des contacts humains. À l’heure où l’idéologie dominante semble plus que jamais inciter au chacun pour soi, nous tentons de déconstruire les mythes autour du collectif. Dans nos cultures citadines et consuméristes, nous avons trop souvent tendance à reléguer ces formes de solidarités. Tandis qu’à notre sens, chez l’humain, l’autocontrôle et l’entraide vont bien plus de soi qu’il n’y paraît.
Pour l’heure, j’observe que, si elle demeure timide, la participation augmente quand même. Qui plus est, nous faisons venir certaines personnes auparavant exclues socialement, qui prennent désormais la parole en public. L’objectif principal, par conséquent, est celui d’une mobilisation citoyenne croissante au fil du temps. Il nous faut donc avant tout centrer nos efforts autour de l’accessibilité de ce projet pour les habitants.
©Crédit photos : Ville de Grande-Synthe
- Nom : Grande-Synthe
- Département : Nord
- Région : Hauts-de-France
- Population : 23 634 habitants (en 2015).
- Maire : Martial Beyaert
- Site internet : Site de la ville
- Années 70 : Transformation des objectifs des politiques de la ville, suite à l’industrialisation du territoire
- Une micro-ferme de 7000 m² et, au total, 13 hectares mis à disposition sur tout le territoire
- Le 3 juin, une table ronde sera organisée autour de l’agriculture et de l’alimentation.
- Sur le programme TETRAA – Site du programme
- Sur la micro-ferme urbaine – Site de la ville de Grande Synthe