En juin 2019, la mairie de Paris publiait un bilan des actions menées par son dispositif 2018-2019 d’aide aux familles monoparentales des quartiers populaires de la capitale. Ce dispositif qui réunit des réseaux de solidarité, vise à développer des projets locaux de lutte contre l’isolement et accompagner ainsi les familles au quotidien. Ainsi, cinq associations ont participé au bon développement de ce réseau d’actions à Paris au cours de l'année passée ; des initiatives inspirantes puisque de nouveaux projets éclosent dans la capitale depuis la rentrée.
Pourquoi ?
Les foyers monoparentaux sont nettement plus présents à Paris (30 %) que dans le reste de l’Ile-de-France et qu’en France métropolitaine (22 %). On compte 77 757 foyers monoparentaux à Paris en 2011 (119 340 enfants) et dans 85 % des cas, la vie familiale est essentiellement organisée autour des mères. Dans les quartiers populaires, le taux des familles monoparentales peut atteindre, voire dépasser localement, 40 %.
Lutter contre l’isolement des familles monoparentales résidant dans les quartiers populaires représente un véritable enjeu social. Les cheffes de ces familles, difficilement identifiables quand elles ne sollicitent pas les ressources locales, sont dans une situation de vulnérabilité sociale et économique qui les expose à un risque important de décrochage social et professionnel. Ces mères n’ont plus de temps pour elles en dehors de leurs activités maternelles, redoutent d’être stigmatisées ainsi que leurs enfants, à cause de leur situation et doivent, pour certaines, accompagner des enfants handicapés ou malades, ce qui rend encore plus difficile leur engagement dans des parcours d’insertion professionnelle. Le lien avec les pères est parfois conflictuel.
Comment ?
Depuis 8 ans, la Ville de Paris finance un dispositif d’accompagnement global des familles monoparentales dans les quartiers politique de la ville des 13e, 14e, 17e, 18e, 19e et 20e arrondissements, en soutenant les associations ADAGE, APASO, ESPEREM, Projets 19 et Réseau Môm’Artre pour développer des projets locaux de lutte contre l’isolement des familles en situation de monoparentalité. La Ville (deux directions pilotes, la DDCT -Direction de la Démocratie, des Citoyen.ne.s et des Territoires- et la DFPE -Direction des familles et de la petite enfance-) identifie les secteurs où le nombre de familles monoparentales isolées justifie la mise en place d’un projet, finance les associations porteuses à hauteur de 12 500 € par association et par projet et coordonne le réseau d’associations porteuses permettant une mutualisation des expérimentations.
Dès lors, ce dispositif repose sur des principes d’action forts qui fondent sa spécificité :
- une articulation entre des temps individuels et des temps collectifs, permettant à la fois d’avancer sur les situations particulières et d’initier une dynamique de solidarité
- une souplesse dans l’élaboration du panel d’activités pour être en adéquation avec les besoins des femmes et des familles
- une proposition d’activités de loisirs à côté de l’accompagnement social et à l’emploi pour permettre aux familles d’investir leur place de citoyens et d’habitants
- un partenariat local fort pour que les familles bénéficient des ressources de leur quartier pendant et après leur sortie du dispositif. La confiance établie avec les familles permet de travailler des sujets délicats comme la place des pères ou la santé psychique
Quelques exemples
- L’association ADAGE, située dans le quartier de la Moskova (19e arrondissement), met en œuvre pour la deuxième année un «réseau de solidarité des familles monoparentales précaires» co-construit avec des femmes du 17e arrondissement, pour leur permettre de sortir de l’isolement et de mieux connaître les acteurs locaux œuvrant autour de la vie pratique, de la citoyenneté et de la parentalité (bibliothèques, associations, centres sociaux, services publics, accès au droit, santé…)
- L’association ADAGE accompagne également, depuis 7 ans, un réseau de familles monoparentales du 18e arrondissement
- L’association APASO, située dans le quartier de la Porte de Vanves (14e arrondissement), a proposé en 2019 pour la troisième année consécutive, la préparation de la course « la Parisienne ». Autour de cette préparation, le groupe de femmes a travaillé un ensemble de questions de santé et de bien-être en lien avec les ressources locales et a créé une véritable émulation et une solidarité collective
D’autres associations sont également intégrées au dispositif de solidarité des familles monoparentales à Paris :
- L’ESPEREM dans le 13e arrondissement
- PROJETS 19 dans le 19e arrondissement
- Le RESEAU MOM’ARTRE dans le 20e arrondissement
Et deux nouveaux réseaux pilotés exclusivement par la DDCT ont été initiés depuis la rentrée de septembre 2019 :
- Dans le 20e arrondissement, un projet porté par le Centre Social Maison du Bas Belleville
- Dans le 11e arrondissement, un projet porté par le Centre Social Le Picoulet, en partenariat avec le Samu Social
Bilan
Les six actions en place ont permis l'implication de près de 200 familles en 2018-2019. En huit ans, c’est plus de 2500 personnes qui ont participé à ces projets.
Après ces huit années de mise en œuvre, le constat a été fait de la pertinence d’une articulation entre des temps collectifs au cours desquels les femmes partagent des problématiques communes et se soutiennent, et une approche individuelle permettant de travailler les situations complexes. Les partenariats tendent à s’élargir à tout Paris et ce, grâce notamment à l’accès à l’offre culturelle parisienne. Pour chaque association, il est à noter une amorce de réseau de voisinage pérenne, des familles venant par le « bouche à oreille », des mères venant avec les enfants d’un membre de leur famille… Enfin, grâce à ces expériences, les différentes associations entament entre elles des relations basées sur le partage d’expériences et la mutualisation de ressources.
Interview de Sandra Gidon, directrice de l’association ADAGE
1) Pourriez-vous nous décrire les actions en faveur du dispositif réalisées à ce jour ?
ADAGE a été créée fin décembre 2008, l’objet de l’association est l’accompagnement social et professionnel des femmes en situation de grandes précarité sociale avec l’idée d’avoir un objectif d’emploi… Ce que je dis souvent, c’est que l’emploi, c’est comme une pelote de laine, ça permet de dérouler (faire ressortir) des difficultés, des besoins. Il est difficile de trouver un emploi lorsque l'on n'a pas de mode de garde d’enfant, quand on n'a pas de lunettes, et si nos droits à la sécurité sociale ne sont pas ouverts, ces difficultés constituent des entraves, des freins à l’insertion. C’est la raison pour laquelle nous avons intégré dans nos statuts le thème d’un accompagnement global ou l’on tient compte de toutes les difficultés.
Nous accueillons à peu près 300 femmes par an, l’idée c’était de pouvoir accueillir des femmes de toutes origines, de tous niveaux scolaires avec ce point commun de la précarité sociale, afin de répondre à des besoins non couverts. On a décliné des actions qui peuvent être collectives, en groupe de travail sur la linguistique et le français comme par exemple un groupe de femmes scolarisé dans son pays d’origine et qui souhaite améliorer son français pour trouver un emploi.
Nous avons des groupes d’orientation professionnelle et aussi un groupe de femmes que nous salarions durant un an -ce qui fait de nous une entreprise sociale et solidaire- pour préparer au concours d’entrée en école d’aide soignante et ce, en partenariat avec l’hôpital Bichat. Nous accueillons aussi des femmes qui sont traitées individuellement par notre action «femmes en mouvement», c’est dans ce cadre qu’est né le « réseau de voisinage », sujet sur lequel je reviendrai ultérieurement. Ce réseau accueille 130 femmes par an, des femmes qui viennent une fois par semaine, certaines sont en situation d’analphabétisme, et 40% d’entre elles ont un niveau Bac à Bac+6.
ADAGE met en oeuvre ses actions sous 4 grands thèmes :
- Le projet professionnel : nous travaillons avec la méthode spécifique de l’ADVP : activation du développement vocationnel et passionnel, une méthode québécoise. Le postulat c’est que « seules les personnes peuvent faire des choix pour elles-mêmes », mais faire des choix implique un apprentissage et il faut une méthodologie de hiérarchisation, d’apprentissage à faire des choix et il est donc nécessaire de se connaître soi-même.
C’est une méthode assez ludique qui permet de travailler sur soi-même pour trouver des métiers dans lesquels on s’épanouit. On apprend également à connaître l’environnement, les métiers et nous organisons des stages pratiques en entreprise. - La communication verbale et non verbale : comment prendre confiance en soi, prendre conscience de sa propre parole. ? Les femmes sont un public qui se censure beaucoup, un peu comme les jeunes de cités d’ailleurs. On leur apprend comment respecter sa propre opinion et à argumenter et respecter l’opinion de l’autre.
Nous les informons de l’existence de codes sociaux, c'est souvent cette méconnaissance des codes qui entrainent des malentendus. Ces codes sont à respecter dans les situations du quotidien : à la sortie d’école, dans les salles d’attente, en entreprise il y a d’autres codes et mêmes des lois.
L’idée n’est pas d’imposer une communication standardisée mais de faire prendre conscience de ce que l’on dit, de la manière de dire les choses et de respecter ces codes sociaux. Nous travaillons énormément sur un fond de sujets d’actualité pour ces ateliers.
- La connaissance de l’environnement social et professionnel, se compoe de deux thèmes :
1) L’accès aux droits, pour lequel nous faisons venir des acteurs comme « planning familial », ou la CPAM.
2) L’accès à la ville et à la culture par l’accompagnement des femmes au cinéma, au café, au théâtre, dans les parcs. On occupe l’espace public pour que les femmes prennent confiance en elles dans leur vie sociale. - Le numérique : l’aisance sur un ordinateur est un atout dans la vie sociale, parentale et professionnelle. Consulter les bulletins de ses enfants est primordial, s’intéresser aux jeux des enfants… Nous faisons donc des plateaux techniques, ou les femmes apprennent à démonter et monter des ordinateurs, des ateliers de création de logo puis d’impression en 3D. Ces ateliers permettent de leur apporter une aisance technique.
L’association ADAGE accompagne donc également, depuis 7 ans, un « réseau de voisinage » de familles monoparentales du 18ème arrondissement adossé au dispositif « Femmes en mouvement », réunissant un lieu de parole, des ateliers de prise de confiance en soi, et un mode d’accueil « passerelle » éphémère des jeunes enfants. Ce réseau local de solidarité permet d’améliorer l’insertion sociale et professionnelle des participantes. En 2018, 10 enfants et 24 femmes ont participé aux groupes de parole, et le projet a touché au total 38 femmes et 19 enfants.
2) L’ensemble des réseaux de solidarité “bénéficie d’un partenariat local fort”, comment s’exprime ce soutien dans le cadre des actions de l’association ADAGE ?
"On profite effectivement d’un partenariat local important, nous avons la chance de nous trouver dans un quartier politique de la ville très actif, on dispose du local du centre social qui nous a accueilli pour la mise en place du « réseau de voisinage », une école maternelle du quartier qui est très impliquée et d’ailleurs plein d’autres écoles et centre sociaux du 18ème avec lesquels on travaille qui sont parties prenantes, des assistantes sociales du quartier qui se montrent très investies, le planning familial etc. On bénéficie réellement d’un ensemble de réseaux qui fonctionnent super bien.
Par ailleurs à Paris, nous avons la chance de pouvoir développer des réseaux au delà des limites géographiques du quartier, on bénéficie donc à la fois d’un partenariat local très fort dans le 18e mais aussi de réseaux qui s’étendent à d’autres arrondissements. C’est spécifique à la ville, le théâtre de l’Étoile du Nord dans le 17e nous accueille par exemple. Il met à disposition sa salle et même un chorégraphe pour notre groupe de théâtre pour enfants, ce qui nous permet d’initier des enfants de ces familles en difficulté à la pratique du théâtre. L’avantage de Paris c’est qu’on peut vraiment aller plus loin dans nos projets et c’est une grande chance pour nous. Il très important pour nous que de pouvoir sortir les femmes ailleurs et faire venir des femmes d’ailleurs".
3) Les actions sont-elles bien accueillies par les familles, les bénéficiaires du dispositif ?
"Oui, on a du monde ! (rires)… des femmes qui continuent de venir, notre idée c’est de travailler sur le qualitatif, on a de super bons retours. Nous avons mené des enquêtes de satisfaction et les retours s’avèrent très positifs. De nombreuses femmes estiment être sorties de l’isolement et affectionnent le fait de pouvoir bénéficier de lieux de partage où elles sont bien accueillies. Elles reviennent et elles amènent d’autres femmes. D’ailleurs 50% des femmes chez ADAGE viennent par le bouche-à-oreille et c’est la meilleure des réponses.
Notre objectif pour les années à venir c’est de continuer à maintenir nos actions car les femmes bénéficiaires les trouvent utiles et en ont besoin.
- Nom : Paris
- Département : Seine (75)
- Région : Île-de-France
- Population : 2 190 327 habitants
- Maire : Anne Hidalgo
- Site internet : https://www.paris.fr
- 8 réseaux associatifs
- 200 familles impliquées en 2018-2019
- 2500 participants au dispositif depuis 8 ans