Marie Duru-Bellat, vous êtes sociologue de l’éducation, vous avez travaillé sur les mécanismes de l’orientation tout en étant précédemment conseillère d’orientation, En quoi notre système d’orientation cristallise-t-il les inégalités? Il cristallise les inégalités d’une part parce qu’il donne un poids essentiel à la réussite scolaire telle qu’évaluée par les notes ; or dans notre pays, la réussite des élèves est particulièrement marquée par leur milieu social d’origine, sans compter les imperfections de la notation elle-même. Alors que les différents itinéraires scolaires sont hiérarchisés aux yeux des enseignants et des élèves, on choisit d’autant plus facilement les « meilleures filières » (celles qui donnent accès aux emplois les plus attractifs) que l’on est un bon élève, alors que ceux qui ont plus de difficultés sont relégués dans les voies (et les métiers) dont personne ne veut (et où il y a de la place). Mais notre système cristallise aussi les inégalités parce qu’il donne, officiellement du moins, beaucoup de poids aux voeux des élèves et de leurs familles : or ces vœux sont très inégalement ambitieux et informés. C’est un constat que l’on fait dans la plupart des pays européens : dans les inégalités sociales de cursus scolaires, les inégalités tenant spécifiquement à l’orientation comptent pratiquement autant que les inégalités liées à la réussite scolaire. Peut-être faudrait-il parfois, paradoxalement, donner moins de poids aux familles et/ou que l’institution les conseille plus précisément, pour contrer l’autos-élection que pratiquent systématiquement les familles les plus éloignées de l’école.
Pour en savoir plus : Lab Afev – du 12 juillet 2018
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