Après avoir publié leurs propositions à l’automne dernier puis interpellé les candidats à l’élection présidentielle en mars, les élus de Ville & Banlieue espéraient peser, afin de redynamiser la politique de la ville. Seuls deux candidats ont, pourtant, daigné leur répondre au 30 mars. Et c’est peu dire que ceux n’ayant pas pris la peine de le faire ne se sont pas davantage inspirés de leurs travaux.
Les candidats à la présidentielle seraient-ils en train de « poser un lapin » aux élus de l’association Ville & Banlieue, « et aux cinq millions d’habitants que nous représentons » ? C’est la crainte que ces maires couvrant une large partie du spectre politique – allant du Front de Gauche au parti Les Républicains –ont ouvertement exprimé, jeudi 30 mars à Paris, après avoir reçu seulement deux réponses aux questions qu’ils ont adressées aux staffs des principaux prétendants à l’Elysée. Un « mépris » qu’ils ont d’autant plus de mal à digérer qu’il intervient après le « rendez-vous manqué entre François Hollande et les banlieues » introduit, véhément, Marc Vuillemot, maire socialiste de La-Seyne-sur-Mer (Var).
Construction de 130 000 à 200 000 logements très sociaux par an
Pour l’heure, seuls Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon ont daigné leur répondre, tandis que l’équipe d’Emmanuel Macron leur a promis un retour d’ici le 31 mars. S’inscrivant dans la lignée de la réforme de la politique de la ville engagée par François Lamy, le candidat PS entend poursuivre les efforts de contractualisation. Le NPNRU serait ainsi porté de 6 à 10 milliards d’euros sur dix ans, grâce à l’Etat et aux régions. Des services publics de la petite enfance et du soutien scolaire seront créés ou développés. 50% des marchés publics seront réservés aux PME-PMI-TPE. A côté de la construction annuelle de 150 000 logements sociaux dont 130 000 très sociaux (PLUS, PLAI), l’Etat incitera les collectivités à bâtir des logements diversifiés pour garantir une mixité des possibilités.
Recyclant une partie de son programme L’Avenir en commun, Jean-Luc Mélenchon a, pour sa part, rappelé vouloir refondre le service public de l’emploi, porter le budget de la culture à 1% du PIB et instaurer une police de proximité. Un catalogue de mesures qui doit transformer les quartiers populaires en « laboratoires du nouveau modèle de société que nous défendons. » Le candidat de La France insoumise annonce aussi la production de 200 000 logements réellement sociaux (PLAI, PLUS) par an, alors que les « passoires énergétiques » des quartiers prioritaires bénéficieront du plan de rénovation thermique. Il prévoit de mettre fin à l’uniformité de la loi SRU et de porter à 30% le quota minimum de logements sociaux dans les communes soumises à une forte tension locative.
Banlieues : quelle gouvernance et quel portage politique ?
Apartisan, le bureau de Ville & Banlieue parle « d’intentions louables » mais attend plus de précisions sur la traduction en actes. C’était d’ailleurs tout le sens de la première de leurs 31 propositions formulées en septembre dernier : pour approfondir et redynamiser la politique de la ville, il faudrait, selon eux, confier ce dossier éminemment interministériel au Premier ministre. « Aucun des deux ne reprend notre idée du portage de la politique de la ville par Matignon, quand ils n’assument pas simplement reconduire la politique de la ville dans un grand ministère de l’urbain et donc la marginaliser », regrette Philippe Rio, maire (PCF) de Grigny (Essonne), pour qui « les quartiers prioritaires sont aujourd’hui dans un angle mort de la République. »
Les mots sont durs, à la hauteur du désarroi. Les propositions de Ville & Banlieue – dont la force résidait dans leur globalité – n’ont effectivement pas tant infusé les programmes des candidats. Ni même les lettres d’intention des deux seuls répondants, qui se sont contentés d’une liste à la Prévert de mesures techniques qu’ils comptaient mettre en œuvre en matière de logement, de sécurité, de mobilité ou de logement. S’il s’agit bien sûr de domaines stratégiques pour les quartiers prioritaires et leurs habitants, plus prégnants que le dossier de la gouvernance de la politique de la ville pas assez grand public, les relations Etat/Collectivités ne devraient pas, selon eux, être évincées aussi rapidement.
Désengagement de l’Etat et perte de capacité d’intervention républicaine
« Le défi de l’éducation, par exemple, est déterminant pour l’avenir de la France. Mais encore faut-il que l’Etat s’en donne les moyens et ne transfère pas une partie de ses charges aux communes, aggravant de fait les inégalités territoriales » peste Gilles Leproust, maire (PCF) d’Allonnes. Lui a en tête la réforme des rythmes scolaires. D’autres, les actions de réussite éducative. « Le droit commun, autrement dit ce qui devrait se faire à minima dans tous les territoires de la République voire de façon encore plus volontariste là où il y en a le plus besoin, est aujourd’hui, de fait, porté uniquement par les collectivités locales. Cela est vrai pour le périscolaire comme pour la prévention et la police du quotidien, faute de volonté de l’Etat » critique Catherine Arenou, première édile (LR) de Chanteloup-les-Vignes.
Un investissement permanent en faveur d’un service public local fort et solidaire que serait venu remettre en cause la baisse des dotations au cours du dernier quinquennat. « Alors même que les situations sociales s’aggravaient dans nos quartiers et que nous cherchions à pallier le désengagement de l’Etat, nous avons été victimes d’une perte de capacité d’intervention républicaine » fustige Marc Vuillemot. « Les augmentations de la dotation de solidarité urbaine (DSU) – censées nous permettre de faire plus dans nos quartiers qui ont moins – n’ont même pas permis de compenser la baisse des dotations » témoigne, concrètement, Philippe Rio.
Session de rattrapage le 19 avril
Leurs revendications ne peuvent toutefois être réduites à la question financière. « Nous avons aussi besoin de considération et de bienveillance. Nous ne disons pas que tout est rose et formidable, que le repli sur soi n’existe pas, mais les amalgames périlleux dégradent l’image de nos quartiers et font chuter leurs attractivités », explique le vice-président d’Evreux Portes de Normandie, Driss Ettazaoui. Non seulement, il est peu question de politique de la ville, de formation professionnelle ou de la répartition des différents types de logements sociaux sur l’ensemble du territoire national, au cours de cette campagne… mais une vision fantasmée des quartiers continue, en effet, à les réduire simplement à des lieux de délinquance et/ou d’intégrisme religieux. « Un reportage à charge efface subrepticement dix ans d’efforts publics » dénonce-t-il, à l’adresse des médias grands publics.
Conscients que « certains territoires ruraux souffrent de difficultés peu ou prou similaires », les élus de Ville & Banlieue ne s’attendaient pas à faire la Une des journaux sur la base de leurs propositions ou de leurs discours alarmistes. Mais pensaient, au moins, pouvoir enrichir le programme du futur hôte de l’Elysée, eu égard à la gravité du contexte national susceptible d’avoir des répercussions dans les quartiers populaires, à Clichy-sous-Bois comme à Guéret. « Cette ostracisation n’est pas un phénomène nouveau ; les quartiers populaires ont rarement fait battre le cœur des campagnes présidentielles » euphémise Catherine Arenou. « Sujet complexe s’il en est, la question des banlieues est politiquement incorrecte à leurs yeux donc risqué à aborder. Par ailleurs, nos habitants ne sont pas vraiment considérés comme des électeurs actifs… »
Les candidats à l’élection présidentielle 2017 – ou probablement, plutôt, leurs représentants – désireux de la faire mentir disposent d’une session de rattrapage, le 19 avril prochain, lors de la commission organisée par l’association avec France urbaine et l’Association des maires de France. Les voilà prévenus.
Article vu sur :
– Courrier des maires du 31 mars 2017. Par Hugo Soutra