La Fondation Abbé Pierre a présenté son 19ème rapport annuel le 31 janvier 2014, et pointe à juste titre une situation préoccupante en matière de logement. Tout en se félicitant de l’adoption de « mesures structurelles » par l’actuel gouvernement, la Fondation attend désormais qu’elles produisent leurs effets.
Il n’est pas inutile de rappeler que le chômage continue sa progression (5,5 millions de personnes pointent à Pôle emploi, soit 2 millions de plus qu’en 2008), que la situation de l’emploi se dégrade (82,4% des embauches l’ont été en CDD en 2013) et que le taux de pauvreté s’accroît pour atteindre, en 2011, 14,3% de la population française. Face à cette réalité sociale qui consacre les inégalités d’accès au logement, les valeurs immobilières augmentent, la précarité énergétique se développe et la demande de logement social s’intensifie.
Les mal logés, catégorie qui comprend les personnes privées de domicile personnel, les personnes vivant dans des mauvaises conditions de logement et les « gens du voyage » qui ne peuvent accéder à une place dans les aires d’accueil aménagées, sont aujourd’hui un nombre de 3.524.426 personnes. En juillet 2013, 141.500 personnes sont sans domicile, soit une progression de 44% par rapport à 2001. Le mal logement pour cause de mauvaises conditions d’habitat, soit à cause de l’inconfort (insalubrité, mauvaise isolation, système électrique défectueux, infiltration d’eau, absence d’installation sanitaire, chauffage défaillant) ou du surpeuplement, est majoritaire : 2.778.000 personnes en sont tributaires.
A ces situations alarmantes, s’ajoutent 5.154.235 personnes fragilisées par rapport au logement. C’est le cas des propriétaires dans des copropriétés en difficulté, des locataires qui ne supportent pas l’augmentation des coûts du logement, des personnes vivant en situation de surpeuplement où il manque une pièce par rapport à la norme de l’Insee, et enfin des hébergés chez des tiers.
D’autres chiffres non comptabilisés dans les données précédentes sont également préoccupants : 3,8 millions de ménages sont en situation de précarité énergétique, près d’1,1 million de logements sont dans des copropriétés très fragiles, 91.180 ménages sont sans droit ni titre dans leur logement suite à une décision de justice d’expulsion. Sans oublier que 1,7 million de ménages avaient déposé une demande de logement social au 1er septembre 2013.
Face à ces chiffres qui permettent de mieux rendre compte de la crise du logement sur les ménages, la politique nationale du logement affiche un objectif de 500.000 logements par an dont 150.000 logements sociaux. Censés répondre au déficit de construction, ces objectifs ne sont pas atteints en 2013 : 330.000 logements mis en chantier, ce qui est moins qu’en 2012, dont un nombre de logements sociaux qui culmine seulement à 117.000. Dans le détail, l’offre très sociale (PLUS et PLAI) est à la peine même si elle augmente : 29.734 PLAI en 2013, ce qui représente une hausse de 2,6 points par rapport à 2012. En 2013, la part des PLS (28%) reste toujours plus importante que celle des PLAI (25%). Entre 2001 et 2013 le nombre de PLS (offre sociale inaccessible à la grande majorité des demandeurs) a été multiplié par 3,8 contre seulement 1,8 pour les PLUS et PLAI.
Pour répondre à la demande sociale et à l’insuffisance de logements sociaux, la mobilisation du parc privé à vocation sociale est pour la Fondation nettement insuffisante. Le conventionnement ne représente que 6.200 logements en 2012…
La Fondation appelle logiquement une plus grande volonté et une meilleure mobilisation des moyens humains et financiers. Et cette mobilisation devra venir autant de la part de l’État que des acteurs locaux puisqu’il y a « percolation » entre l’impulsion nationale et la traduction locale. Toutes ne sont pas « armées » de la manière pour justement réussir cette percolation. Par exemple, les collectivités locales sont confrontées à des inégalités, de charges et de ressources, qu’elles doivent résoudre selon la Fondation par une meilleure solidarité financière. Le retour vers un meilleur droit commun doit se créer, la politique de la ville est ainsi indissociable des politiques locales de l’habitat et doivent à juste titre être au service des habitants. Pour la Fondation Abbé Pierre, il en va ainsi de l’échelon local qui doit être « l’échelon de toutes les avancées et de toutes les réponses concrètes apportées aux mal-logés ».
La mobilisation des collectivités locales contre le mal-logement constitue justement un chapitre du rapport. S’appuyant sur un travail d’enquête, cette partie aborde les facteurs qui ont favorisé l’émergence des politiques locales de l’habitat, leurs structurations, leurs orientations et les questionnements qu’elles soulèvent. Les PLH, élaborés et mis en œuvre au niveau des agglomérations, sont considérés de fait comme les « pivots de l’action locale pour traiter le mal-logement dans ses différentes déclinaisons territoriales ».
Le champ d’action et la légitimité des intercommunalités sont clairement reconnus et sont amenés à se renforcer avec les possibilités de délégations de la part de l’État. En revanche, la prise en compte des enjeux et des moyens accordés aux politiques de l’habitat demeurent inégaux : la capacité des acteurs locaux à s’emparer de la question du logement et de la traduire en actes, l’antériorité de la mobilisation des collectivités constitue bien sûr un facteur, notamment dès qu’il s’agit d’anticiper le socle des actions communes et l’intensité des relations entre élus et opérateurs, mais aussi l’intégration des enjeux de l’habitat dans une stratégie plus globale de développement des territoires a permis d’anticiper les besoins, d’assurer le desserrement des ménages et la fluidité des parcours résidentiels. A contrario, « la faiblesse de certaines instances intercommunales, l’émiettement communal et l’opposition franche ou passive de certaines communes au développement d’une action coordonnée en faveur du logement, ont pu freiner le développement de politiques de l’habitat équilibrées et cohérentes ».
Afin de mieux prendre en compte les populations les plus fragiles et le traitement du mal-logement, des pistes d’actions sont avancées : mieux prendre en compte la question du peuplement au niveau intercommunal, rechercher une meilleure articulation entre la problématique de l’hébergement et celle du logement des populations les plus fragiles notamment en rapprochant PLH et PDALPD (Plan départemental d’action pour le logement des personnes défavorisées), soutenir la production et le fonctionnement de structures d’accueil et d’hébergement, mobiliser des logements locatifs privés à des fins sociales.
Pour la Fondation Abbé Pierre, les récentes dispositions relatives à l’habitat dans les lois décentralisation et logement auront une réelle efficacité si la volonté politique des intercommunalités à l’égard des plus fragiles est entière.